James Ellroy : Perfidia




Dans le lent écueil des émotions et des convoitises s'écoule le crépuscule de Los Angeles. Un sentiment glacé étreint la crête des collines peu propice aux vivants. Semblable à une danse lente, la pavane d'un rêve défunt, le livre de James Ellroy ondoie, déferlante régulière et rythmée.

L'Histoire étreint les protagonistes, les lamine, les essore, les embrasse et les rejette. le roman se déroule dans un court laps de temps juste avant et après l'attaque de Pearl Harbor. Les Etats-Unis vont entrer en guerre. Dans un frénétique dérèglement de tous les sens, les femmes et les hommes du récit, personnages principaux ou secondaires, imaginaires ou réels, abdiquent de leur âme ou du peu qu'il leur en reste. Ce sont des plantes vénéneuses qui s'entredévorent. Les plus fragiles et « innocents « auront leur part. Leur Part d'ombre. Ce n'est même plus survivre, c'est essayer de s'arracher au tourbillon infernal de la boite de Pandore. Ellroy l'a ouverte. En sort comme toujours : la terreur, la corruption, l'argent, le sexe, le pouvoir, les manipulations, les minorités, le racisme, la religion, la violence, la rédemption, l'amour et la mort.

L'écriture serrée, limpide, plus classique (certains trouveront plus banale ?) est toujours aussi brillante dans son intelligence et sa construction. Elle semble effectivement débarrassée du foisonnement, du tumulte, de l'outrance pour ne garder que la substance vitale. le rythme du livre est une course de loup. Une cadence soutenue, ample et silencieuse ; qui ne lâche rien.

Parlons, en autre, des phrases, des mots répétés ; parfois dans un même paragraphe. Outre le tempo linguistique, elles soulignent la réflexion des personnages, leur impuissance parfois, leur satisfaction aussi. Point de rabâchage. le staccato des mots égrenés. Une litanie obsessionnelle qui tourne à l'incantation. Car ils sont tous obsédés ; ils et elles. Obsédés par leurs amours, leurs haines, leur foi, leurs chimères, leur loi, leurs vices. Ils sont obsédés par L.A., ville des mirages.

Dans ce livre aucune distance entre l'action et le ressenti des personnages. C'est la même cadence, le même niveau d'écriture. L'immédiateté du récit vous met dans le rôle du double invisible. Vous êtes dans leur tête, dans leur coeur et dans leurs gestes.

On les retrouve tous dans la jeunesse et pour certains dans la genèse de leur existence littéraire. Celles et ceux qui sont dans les deux séries d'Ellroy : le Quatuor de Los Angeles et Underworld USA.

Dans Perfidia les trois pivots du récit sont :

Dudley Smith, figure emblématique du LAPD, Monstre parmi les monstres. En passe de devenir une sorte de légende urbaine. Les plus belles pages romantiques sont pour lui.

William H. Parker, son rival au sein du LAPD, soumit à ses tentations, son idéal et à sa rédemption impossible.

Katherine Lake : j'écrivais pour le Dahlia noir qu'elle se sauvait et se croyait sauvée. Dans Perfidia, elle commence cette ascension.

Et la pierre de soutènement :

Hideo Ashida : Jeune docteur en biologie et criminologie, japonais, travaillant au sein du LAPD en cette période qui va voir la spoliation, l'arrestation et l'internement dans des camps d'une majorité de la population japonaise de Los Angeles. Ashida peut être vu comme était Upshaw dans le Grand Nulle Part. le coeur révélateur, la figure emblématique, la symbolique à la fois accusatrice et expiatoire de tous les autres et de cette ville. Et comme Upshaw, Ellroy en fait un personnage attachant, un type malgré tout « bien ». Evidemment, il cherche à sauver sa peau au sens propre et figuré. Ellroy lui confère une forme de pureté originelle même dans ses doutes et ses trahisons.

Et puis il y a tous les autres : Claire de Haven, Buzz Meeks, Blanchard, Bleichert, Jack Webb, Ward J. Littell, etc… Convoqués pour le festin.

La grande force de James Ellroy, outre un talent – et beaucoup, beaucoup de travail – inné pour narrer une histoire, est d'insérer dans un déferlement de bassesses, des joyaux de douceur, de bonté et d'amour romantique idéalisé et passionné. C'est dans ces moments là que je le trouve le meilleur.

J'ajoute, bien sûr, car cela va de soi avec Ellroy, que ces quatre personnages principaux ont un sentiment de supériorité issu de leur grande intelligence et lucidité ; ce qui ne les empêche pas de faillir et parfois de chuter momentanément.

Les femmes sont magnifiques, d'une justesse troublante. Ce sont des personnages féminins forts, perdus, combatifs, avec un regard sans concession sur les hommes.

Les hommes sont des vautours, des loups et des agneaux. Tous sont assujettis à cette ville pieuvre, qu'on imagine ne pouvoir s'épanouir, grandir que dans la violence, le sang et l'ordure.

Grand travail de traduction de Jean-Paul Gratias. Tout est en subtilité, finesse dans ce dernier James Ellroy. Et j'ai failli oublier l'ironie et le grotesque saupoudré tout le long de ce volumineux roman, ce qui ajoute un parfum cocasse. Cette horlogerie bien huilée vient d'une traduction qui pour moi « coule de source ».

Perfidia, premier roman de la nouvelle tétralogie de James Ellroy. Pépite incandescente dans l'orbite des nuits blanches du roman noir.

Un bijou ultra noir , qui met mal à l'aise , et qui est addictif , comme seul Ellroy sait le faire .

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