Julian Barnes : La seule histoire

Un premier amour détermine une vie pour toujours : c'est ce que j'ai découvert au fil des ans. Il n'occupe pas forcément un rang supérieur à celui des amours ultérieures, mais elles seront toujours affectées par son existence. Il peut servir de modèle, ou de contre-exemple. Il peut éclipser les amours ultérieures ; d'un autre côté, il peut les rendre plus faciles, meilleures. Mais parfois aussi, un premier amour cautérise le coeur, et tout ce qu'on pourra trouver ensuite, c'est une large cicatrice. Paul a dix-neuf ans et s'ennuie un peu cet été-là, le dernier avant son départ à l'université. Au club de tennis local, il rencontre Susan - quarante-huit ans, mariée, deux grandes filles - avec qui il va disputer des parties en double. Susan est belle, charmante, chaleureuse. Il n'en faut pas davantage pour les rapprocher... La passion ? Non, l'amour, le vrai, total et absolu, que les amants vivront d'abord en cachette. Puis ils partent habiter à Londres : Susan a un peu d'argent, Paul doit continuer ses études de droit. Le bonheur ? Oui. Enfin presque car, peu à peu, Paul va découvrir que Susan a un problème, qu'elle a soigneusement dissimulé jusque-là : elle est alcoolique. Il l'aime, il ne veut pas la laisser seule avec ses démons. Il va tout tenter pour la sauver et combattre avec elle ce fléau. En vain... Mais lui, alors ? Sa jeunesse, les années qui passent et qui auraient dû être joyeuses, insouciantes ? Il a trente ans, puis trente et un, puis trente-deux. Vaut-il mieux avoir aimé et perdre ou ne jamais avoir aimé ? « La plupart d'entre nous n'ont qu'une histoire à raconter. Je ne veux pas dire que cela ne nous arrive qu'une fois dans une vie : il y a d'innombrables événements que nous transformons en d'innombrables histoires. Mais il n'y en a qu'une qui compte, une seule qui mérite finalement d'être raconté. Celle que je raconte ici est la mienne." C'est ainsi que s'exprime le narrateur du dernier roman de Julian Barnes, un texte verni avec l'élégance avec laquelle l'auteur est habitué à polir la mélancolie que dégagent ses œuvres. Ce qui est raconté ici est l'histoire de la relation entre un jeune étudiant universitaire et une femme mariée d'un quartier résidentiel qui finissent par se rencontrer au club de tennis. Rien de nouveau peut-être, mais Barnes nous raconte comme si c'était l'occasion fondatrice où l'inconscience de la jeunesse croise la sécurité de la maturité, pour créer une bulle dont l'éclatement est annoncé et reporté dans le récit. Paul, dix-neuf ans, narrateur et protagoniste, méprise les conventions et les servitudes qu'implique pour lui la condition d'adulte. Et par conséquent ie étant cette aversion aux membres d'une génération qui s'y soumet sans la moindre résistance, mais dont il exclut Susan, malgré ses quarante-huit ans et ses deux filles. Paul revient sur ses années en faisant appel à la compréhension du lecteur/auditeur, conscient que la mémoire a ses propres règles pour prioriser les souvenirs. C'est le prétexte parfait pour Barnes pour gérer les données et les situations sans s'occuper de chronologies précises, jusqu'à composer l'image du champ de bataille où s'installe le bonheur du couple. On y retrouve les parents de Paul, les membres scandalisés du club, le mari qui a permis la présence persistante du jeune homme chez lui, ou encore l'amie solitaire de Susan, vaincue après avoir échoué dans une relation inverse qu'elle refuse désormais de juger et en dont elle était la partie la plus vulnérable. Mais ce qui va décider de l'issue du conflit va être l'irruption dévastatrice d'un élément quelque peu inattendu : l'alcool, compagnon d'infortune et soulagement des angoisses. C'est là que la capacité d'analyse et de réflexion de l'auteur est mise au service du protagoniste pour lui permettre de comprendre les détails d'une histoire qui le dépasse, et dans laquelle la narration passe naturellement d'une première personne passionnée à une seconde expositoire, pour finir dans une troisième avec une vocation d'objectivité et de décompte des pertes. Barnes est le membre le plus âgé de cette génération d'auteurs britanniques qui a émergé dans les années 80 et à laquelle appartiennent également Ian McEwan, Martin Amis et Kazuo Ishiguro. Barnes comme dans son précédent roman, "Le bruit du temps"ou il mettait dans la bouche de son protagoniste, le compositeur russe Chostakovitch, une phrase aussi amère que dévastatrice : "Les illusions (...), même mortes, continuent de pourrir et de puer en nous."en refait la démonstration. dans ce roman froid par choix ce qui peut déplaîre.

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