Ersi Sotiropoulos : Ce qui reste de la nuit. 2015

Paris, 1897. Le poète grec Constantin Cavafy a 33 ans et c'est son frère aîné qui, à cette époque, est considéré comme l'artiste de la famille. Il mûrit son œuvre mais il se sent entravé par sa poésie encore incertaine, le carcan de la rime, son homosexualité refoulée et l'affection tyrannique de sa mère. Ces trois jours à Paris se révèlent être un catalyseur décisif pour sa vie. Ce qui reste de la nuit se déroule à Paris en 1897 et raconte trois jours de la vie de Cavafy – voyageant à travers l'Europe avec l'un de ses frères, loin de la présence absorbante de sa mère –, un Cavafy d'une trentaine d'années, avant de devenir dans le grand poète que nous connaissons, alors qu'il était encore paralysé par les tensions familiales et les insécurités de toutes sortes, mais qui commençait déjà à mûrir en lui un monde poétique puissant. C'est un roman qui malgré sa brièveté est exigeant, sans concessions à la facilité et plaira aux lecteurs de littérature peu pressés. on est bien loin du roman de gare ou de plage… Ces journées dans la capitale française, qu'il passe avec son frère John. Ils errent dans un Paris encore par l'affaire Dreyfus, déboussolé par l'avant-garde artistique, ébranlé et léthargique en même temps, cette ville frénétique où la distinction est de s'ennuyer au milieu des fêtes les plus sophistiquées. ..peu avant de retourner en Egypte, Cavafy est plongé dans une crise existentielle, il est enclin à la solitude et plutôt introverti, littéralement onaniste, un peu misanthrope et surtout absorbé dans ses réflexions poétiques, souvent quelque peu angoissantes comme l'angoisse des influences» : (« Baudelaire, Rimbaud, Hugo, vous m'accablez. Votre stature m'écrase », médite le Grec ). Et le voilà confronté à ses démons les plus intimes : l'incertitude face à un style qui cherche encore à s'affirmer, le tourment d'être homosexuel et de savoir qu'il est incompris, et l'affection tyrannique d'une mère qui l'empêche de se développer et de vivre pleinement sa vie. Le candidat poète erre sans sommeil dans Paris, évite les présences indésirables, corrige des poèmes, doute de sa vocation, rivalise secrètement avec son frère, désespère. Il passe un mauvais moment, et savoir qu'il passe un mauvais moment à cause des absurdités et de la vanité ne fait qu'empirer les choses… Tout le nourrit mais tout lui fait mal au cœur. Ce sont des jours de carrefour personnel, de dilemmes intérieurs, ou il réfléchit sur sa vocation au milieu d'une existence où il sent ses sens s'élargir ou rétrécir au fil des heures : "La nuit était si douce… Les poèmes pouvaient attendre…" L'agitation du personnage est contagieuse pour le lecteur, et c'est un malaise de nature créative mais aussi érotique, plein de souvenirs, de désirs, de mauvaise conscience, de rechutes… Presque tout ce qui se passe dans ce roman se passe à l'intérieur du personnage, dans sa psychologie (mais cela se passe aussi dans la langue, très riche), même si l'intrigue semble se diriger avec le personnage vers un lieu ambigu appelé "l'Arche" où se produisent des choses imprécises et mystérieuses... Ainsi, s'il veut sauver la poésie qu'il sent venir, une décision aussi difficile qu’exhaustive s’impose : couper les liens avec tout ce qui, tant aimé, tant détesté, contraint, limite, paralyse : Qu'il s'agisse de la famille, ou d'une Alexandrie qui se sent provinciale face à ses désirs d'universalité et de cosmopolitisme. Je précise toutefois qu'en aucun cas ce roman n'est une biographie. Si le protagoniste n'était pas un poète important en formation mais un personnage parfaitement anonyme et inventé, le roman fonctionnerait quand même , y compris les réflexions méta poétiques : "Sotiropoulos" avait besoin d'un personnage en voyage, hors de sa routine, en reconstruction, et elle l'a trouvé en Cavafy quand il commençait à être Cavafy, avec ses doutes, sa faim de gloire, ses projets, ses insécurités ses envie et ses auto répressions Comment le génie cohabite-t-il avec le quotidien, avec cette usure persistante du quotidien qu’il faut imposer pour porter ses fruits ? Comment sortir des rigidités, des obstacles, mais aussi des liens qui empêchent le progrès ? Le prix de la liberté artistique est toujours élevé, mais cette violence contre soi-même et contre le monde qui nous entoure semble être une étape incontournable. Le beau roman d' "Ersi Sotiropoulos" tente de répondre à toutes ces questions. #henrimesquida #cinemaetlitteraturegay

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