pablo neruda : Autobiographie: j'avoue que j'ai vécu.

 



"Peut-être n'ai-je pas vécu en mon propre corps: peut-être ai-je vécu la vie des autres", écrit Pablo Neruda pour présenter ces souvenirs qui s'achèvent quelques jours avant sa mort par un hommage posthume à son ami Salvador Allende.
Les portraits d'hommes célèbres - Aragon, Breton, Eluard, García Lorca, Picasso - côtoient les pages admirables consacrées à l'homme de la rue, au paysan anonyme, à la femme d'une nuit.
À travers eux se dessine la personnalité de Neruda, homme passionné, attentif, curieux de tout et de tous, le poète qui se révèle être aussi un merveilleux conteur.
Inoubliable, cette prostituée de Singapour qui le suit de consulat en consulat et, jalouse de son sommeil même, veille un couteau cinghalais à la main,
Emouvantes, ces trois veuves françaises isolées au plus profond de la forêt australe, qui offrent au jeune voyageur un dîner digne de Vatel et l'inscrivent à leur fichier afin de ne pas risquer de lui servir les mêmes mets, si un jour...
Exemplaire, l'invention de ce peintre chilien qui compte remplacer la politique par la culture des pommes de terre : si chaque homme en plantait une, il en récolterait trente et personne ne connaîtrait plus la faim.
Mais c'est la terre chilienne, tant de fois chantée dans ses poèmes, qui sert de toile de fond aux mille anecdotes de ce bonheur d'avoir vécu une existence riche en péripéties et en amitié. Au commencement était la forêt araucane, «cette gloire, ce silence», qui fascinait l'enfant autant que la sonorité des noms de gares où son père, aimable et rude géant entouré d'anciens repris de justice, menait les trains chargés de graviers qu'il déversait dans les rivières pour qu'elles ne débordent pas. En racontant son enfance, c'est toute la vie d'un "far west austral" que ressuscite Pabio Neruda.
En contrepoint, la France, Paris dans les années 1930, occupe une place privilégiée : le poète y a séjourné souvent, il y a vécu lors de la guerre d'Espagne, organisant l'immigration des réfugiés au Chili.
"Les Mémoires du poète ne sont pas ceux du chroniqueur", dit encore Pabio Neruda. Le lecteur s'en félicitera et regrettera peut-être qu'il ne nous ait pas laissé davantage de textes en prose...
Pabio Neruda (de son vrai nom; Neftali Ricardo Reyes) est né en 1904. Il a obtenu le Prix Nobel de littérature en 1971, alors qu'il était ambassadeur du gouvernement chilien de l'Unité populaire à Paris. Il est mort à Santiago du Chili le 3 septembre 1973, douze jours après le coup d'État militaire qui renversa le gouvernement de Salvador Allende, alors que sa maison avait été saccagée.

De Pablo Neruda, je ne connaissait que vaguement un poème appris sur les bancs de l'école, un poème qui dans ma mémoire dégoulinait du sang des incas. Récemment, un ami m'avait parlé du poète qu'il est, mais le souvenir du sang indien m'a détourné de ses vers, et j'ai préféré entamer son autobiographie.
Et là, j'ai pris une petite baffe. Ce livre a été une très agréable surprise.
Il y a des gens qui écrivent comme d'autres respirent. C'est l'impression que m'a donné le style de Néruda : quelque chose de profondément naturel - et encore, j'imagine que son style doit être un peu amoindri par la traduction. Bref c'est de la poésie en prose
Du coup, son récit est d'une légèreté étonnante, il coule de source. Enfin à vrai dire, il s'assèche un peu sur la fin. Il est comme plus formel, plus officiel. J'ai un peu peiné à finir le texte, mais cette faiblesse finale n'est rien par rapport au bonheur de l'avoir écouté me conter sa vie. 

citation I : .....Je regarde les vagues légères d'un nouveau jour sur l'Atlantique.
Le bateau laisse de chaque côté de sa proue une déchirure blanche, bleue et sulfurique d'eau, d'écume et d'abîmes remués.
Ce sont les portes de l'océan qui tremblent.
Au dessus passent les minuscules poissons volants, faits d'argent transparent.
Je reviens de l'exil.
Je regarde longuement ces eaux sur lesquelles je navigue vers d'autres eaux : les vagues tourmentées de ma patrie.
le ciel d'une longue journée couvre tout l'océan.
Puis la nuit viendra qui cachera de son ombre une fois encore le grand palais vert du mystère. (p332)

Citation II :
De la même façon qu'il en coûterait beaucoup aux gens raisonnables d'être poète, il en coûte beaucoup peut-être aux poètes d'être raisonnables. Cependant la raison gagne la partie et c'est la raison, base de la justice, qui doit gouverner le monde. 

Citation VI :
.....J'aime tant les mots... Les mots inattendus... Ceux que gloutonnement on attend, on guette, jusqu'à ce qu'ils tombent soudain... Termes aimés... Ils brillent comme des pierres de couleurs, ils sautent comme des poissons de platine, ils sont écume, fil, métal, rosée... Il est des mots que je poursuis... Ils sont si beaux que je veux les mettre tous dans mon poème .
...............................................................................................................................
Et alors je les retourne, je les agite, je les bois, je les avale, je les triture, je les mets sur leur trente et un, je les libère...Je les laisse comme des stalactites dans mon poème, comme des bouts de bois poli, comme du charbon, comme des épaves de naufrage, des présents de la vague
Tout est dans le mot. (p80)

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

John Rechy : La citée de la nuit

Lonsam Studio photo gay japon

Bret Easton Ellis : Les éclats 2023.