comme le fantôme du jazzman dans la station mir en déroute







Le long d'une autoroute qui file vers le sud, au.son d'un saxophone kamikaze, la cavale hallucinée d'un couple atteint par un étrange neurovirus qui connecte leur cerveau à la station Mir et à son Ange Gardien, le jazzman Albert Ayler.
Un voyage au-delà de la réalité et de l'infini, entre états altérés de la conscience et phases de réadaptation.
Comme le fantôme d'un Jazzman est un texte de commande, écrit en 1996 à la demande de Patrick Raynal, directeur de la Série Noire, pour un livre de nouvelles consacré au jazzman américain Albert Ayler, mort dans des conditions obscures en novembre 1970. Dantec n'a pas livré le texte dans les délais souhaités et celui-ci l'a débordé pour s'imposer dans la longueur.
La nouvelle est devenue un roman que l'écrivain a remis sur le métier dernièrement : d'où cette histoire, qui paraîtra curieuse et incongrue à ceux qui n'en connaissent pas le contexte, d'un jazzman qui joue au fantôme cosmonaute. "Ghost" est, du reste, le morceau clé d'Ayler, sorte de free jazzer ultime, souffleur religieux habité découvert par Coltrane et roi maudit du vibrosax. On ne s'apesantira pas là-dessus : Ayler compte ici pour du beurre, du beurre sacré, certes, mais qui ne sert que de véhicule à l'un des thèmes fétiches de Dantec, la connexion directe de la musique répétitive et électrique à l'âme et donc aux secrets de la création, ADN, Dieu et tout le toutim. Pour le reste, c'est roman noir, parano baston et vitamine transamoureuse à tous les étages, domaines où l'auteur n'a de rival français que Pierre Bordage.



Comme le fantôme d'un jazzman est un roman d'aventures à l'ancienne. Un gars qui a failli devenir flic (tout petit Toorop donc), une fille un peu jeune et un peu jolie pillent des banques et prennent la poudre d'escampette dans une France d'anticipation pour se mettre au vert, couleur île déserte, d'un paradis sans police. Ils ont les flics aux trousses parce qu'ils sont cambrioleurs mais aussi parce qu'ils sont porteurs d'un virus-drogue qui les plonge à intervalles réguliers dans des trips de connaissances (les « états augmentés ») où leur cerveau donne sa pleine mesure : intelligence décuplée, ultralucidité, vision claire... Le virus, dans la grande tradition burroughsienne, donne accès au savoir (et au futur) et menace l'ordre établi. Les porteurs sont des mutants annonciateurs d'une évolution prochaine du genre humain que l'Etat (façon K Dick, Gibson, Sarko-Matrixien) ne voit pas d'un oeil favorable ou, du moins, désintéressé.

Du coup, le couple doit semer ses poursuivants et Dantec faire ce qu'il sait faire de mieux depuis ses débuts : un road-book paranoïaque, une course poursuite en milieu hostile et occupé, sur fond de découverte à petits pas des mystères de la vie. Ses duettistes sont impeccables de bout en bout, entre artisanat clandestin et haute technologie ajoutée, la fille est suffisamment sexy pour faire rêver et bander le mec qui est suffisamment costaud pour démolir les gusses qui se mettent en travers du chemin. Des capitaux transitent par des comptes improbables, tandis que le héros phosphore des plans (dérisoires) à la vitesse d'un Hannibal (d'Agence Tous Risques) au galop.
Apéricube

Depuis La Sirène rouge, Dantec n'a pas d'équivalent pour rendre crédibles ces traversées de territoires banalisés qui ne le sont pas du tout (ici, la France, l'Espagne puis un grand trip africain et spatial). Et il écrit les meilleurs scènes de free fight du monde. L'écriture est tendue comme un scénario hollywoodien, asséchée à l'extrême (ce qui contraste avec les grandes œuvres précédentes), désossée au couteau et d'une pauvreté bienvenue.

L'alternance des scènes d'action pure (la baston à Abidjan est un modèle du genre, à montrer dans les écoles de polar) et des scènes de chambre (Karen épuisée, les expositions, Mir) répond à un équilibre parfait que Dantec avait sciemment et souvent brillamment saboté sur Villa Vortex, Cosmos Incorporated et Grande Jonction. Les 20 premières pages sont limite malhabiles (lire « mal écrites ») mais le niveau décolle par la suite pour se hisser au niveau des premiers travaux de l'auteur, en toute simplicité : le Dantec du Jazzman, contrairement à celui de La Sirène rouge, ménage ses effets et n'a plus rien à prouver.
D'aucuns trouveront ce Jazzman complètement régressif, bidon et à déconseiller aux consommateurs de bêtabloquants - c'est aussi pour cela qu'on l'aime. Le roman est clairement une œuvre mineure dans la belle séquence initiée depuis Villa Vortex, comme si Orson Welles se payait un dessin animé : l'occasion de revisiter certains thèmes ou de les annoncer, sans apporter grand-chose de nouveau, certes, mais avec le souci de divertir/avertir tout en traçant son sillon. Maurice Dantec a le sens du détail. Son Jazzman est trop court pour être un grand livre satisfaisant, mais il est aussi trop consistant pour servir seulement d'apéritif. Le calibrage est, en définitive, le seul défaut majeur de ce livre.

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