don winslow savages polar





Ils sont trois, les jeunes héros californiens du nouveau roman de Don Winslow : Ben, fils d’un couple de psychiatres progressistes, crack en botanique et marketing, Chon qui a combattu en Afghanistan, un as dans le maniement des armes, O. enfin pour Ophelia, amoureuse et amante des deux premiers, et affligée d’une mère possessive d’un genre spécial (pour tout dire là aussi californien) qu’elle appelle Rapu, acronyme de « reine agressive passive de l’univers », chez laquelle elle vit encore. Ils ont créé une espèce de phalanstère de notre temps. C’est à la fois une unité amoureuse (entendez que Chon et Ben aiment tous deux O. qui le leur rend bien, sans que pour autant précisent les deux garçons, ils soient homosexuels) et une entreprise économique très florissante. Ils ont en effet mis au point une herbe de synthèse, marijuana de type nouveau et aux effets planants supérieurs aux autres variétés, qui leur rapporte beaucoup pour peu d’entretien. Et, à la manière d’un Bill Gates ou d’autres capitalistes philanthropes, Ben investit dans l’humanitaire ses énormes bénéfices. Comme le dit si bien le narrateur « Ben [gagne] sa vie « en juste », une pratique qui recoupe très joliment l’endoctrinement socialiste de son enfance avec le sens des affaires quelque peu reaganien. ».

Mais voilà, la réalité concurrentielle est également implacable dans le marché de la drogue. Pour avoir refusé de passer sous les fourches caudines d’un groupe de trafiquants mexicains mené par une femme, le cartel de Baja, lequel veut s’annexer leur production et leur réseau de distribution, la guerre est déclarée. O., séquestrée, est en passe de connaître le sort des otages de ces guerres-là, pendant que les deux autres organisent coups de mains sanglants et embuscades pour la récupérer.

Don Winslow n’en est pas à une pirouette près. On l’a connu truculent et plutôt velu avec son irrésistible série Neil Carey, entamée il y a déjà 20 ans. Puis grave et concerné à travers un sidérant roman sur le marché de la drogue entre le sud des Etats-Unis et le Mexique (’La Griffe du chien’). Enfin, notre homme s’est imposé plus récemment comme un des maîtres du polar west coast avec une poignée de romans bodybuildés, bercés par les douces harmonies vocales d’une surf culture bleue turquoise (’L’Hiver de Frankie Machine’, ‘La Patrouille de l’aube’…). On pouvait dès lors imaginer que le romancier aller camper sur ce bon spot fleurant le sable chaud et les juteuses royalties. C’est mal connaître un écrivain visiblement toujours prêt à de nouvelles acrobaties. ‘Savages’ est une totale surprise. Un formidable coup de pied dans la routine du polar américain. Si l’intrigue est des plus classiques (un trio de jeunes et sympathiques trafiquants vaguement geeks de Los Angeles se retrouve dans la ligne de mire de la mafia calexico, entendez Californie-Mexico), ce thriller hallucinant surprend dès les premières lignes par son rythme speedé et son style déstructuré. Ses répétitions sous amphétamines. Ses abréviations SMS quasi-cabalistiques (O pour orgasme, AQ pour Al Qaida, ou ASE pour Adios Salauds d’Enfoirés).
Ses syncopes rap, tendance gangsta furioso. Ses références tous azimuts, convoquent pèle mêle dans un name dropping frénétique et warholien John Wayne, Butch Cassady, Jacques Derrida, Star Trek ou les diverses enseignes de luxe de Rodeo Drive. Bref, d’un bout à l’autre, Winslow innove et bouscule de genre. Invente un nouveau langage et un tempo inédit pour un thriller moderne, hyper-violent, sexy et romantique. Un ‘A bout de souffle’ moderne. Dopé. Numérique. Et, bien sûr, sauvage à souhait.
La manière du récit de Winslow est parfaite pour raconter le fatal engrenage de l’affaire avec tantôt une ironie distante, tantôt une empathie bien mesurée. Comme s’il fallait utiliser l’arme d’une écriture nerveuse, en courts chapitres, parsemés d’amusants acronymes pour dire une lutte sans issue ; et se donner le ton de moraliste pour décrire, dans nos sociétés modernes une « religion du narcissisme. Au bout du compte nous avons adoré que nous-mêmes. Au bout du compte, ce n’était pas suffisant ».

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