Daniel Mendelsohn l'étreinte fugitive





En 2008, est publié en France, L’Étreinte fugitive, qu'il avait écrit sept ans avant Les Disparus et qui constitue le premier volet d'un triptyque dont Les Disparus constituent le second volet, et qui a également eu une réception critique exceptionnelle.

Dans Les Disparus, Daniel Mendelsohn partait en quête de l'histoire de sa famille ; avec L'Étreinte fugitive, il s'est livré à une quête infiniment plus intime. De l'écriture rhapsodique et classique qui est la sienne, il fait revivre son enfance entre sa mère, " l'institutrice ", la toute-belle, et son père, " le mathématicien ", celui qui répare, construit et se collette aux choses ; une enfance peuplée d'êtres, frères et sœurs, parents juifs âgés, avec, au centre, son grand-père, ce dandy mystérieux et raconteur d'histoires. C'est pendant ses années d'étudiant dans l'exotique Sud américain que te jeune homme se découvre une passion jumelée pour les langues anciennes et les beaux garçons. Dès lors, la recherche de la " grammaire de son identité ", de ce que veut dire être un homme, suivra des méandres surprenants, bouleversants. Car, lorsqu'une amie lui propose d'incarner une " figure paternelle " auprès de l'enfant qu'elle porte, il accepte et se prend à s'attacher si fort à lui qu'il va, petit à petit, partager sa vie entre Chelsea, le quartier où vivent les " garçons " de New York, et la banlieue où habitent son amie et leur petit garçon. Comme Les Disparus, ce récit réverbère l'écho de textes antiques - ici, des poèmes latins et des tragédies grecques - et renferme un secret de famille lancinant, dont le lecteur n'aura la clé que dans les dernières pages du livre, après avoir, avec Daniel Mendelsohn, rendu visite à des tombes désertées et déchiffré des épitaphes menteuses.

Libé : En 2007, le prix Médicis du roman étranger récompensait en France les Disparus (1) de Daniel Mendelsohn, un intellectuel américain qui allait désormais faire partie de notre paysage littéraire. Romanesque, les Disparus l’était incontestablement, qui exposait les méandres d’une gigantesque enquête, de manière à raconter, à travers elle, le destin d’une famille juive en Pologne (aujourd’hui Ukraine), six personnes assassinées pendant la guerre, gagnant, une par une, une sépulture grâce à leur petit cousin new-yorkais. Ce n’était pas un roman, tout en étant de la littérature.

L’Etreinte fugitive, explique Mendelsohn dans sa préface, a été écrit avant, et constitue le premier volet de ce qui sera, avec les Disparus,un triptyque. Il s’agit d’un essai d’egohistoire, comme on parle d’autofiction. De quoi est tissée l’identité d’un individu ? Quelle est sa«grammaire», d’où vient son étymologie ? On retrouve le goût de l’auteur pour le langage, l’origine, les mythes, les tragédies et la culture grecques, qu’il pose souvent en contrepoint de son récit.

«Hobbies».Enfant, il se fait le dépositaire de l’histoire et de la légende familiales, de préférence du côté de sa mère, collectant photographies et témoignages. La généalogie le passionne autant que l’archéologie, «deux hobbies» qui le mènent à «l’apprentissage des langues». La figure centrale, comme dans les Disparus, est le grand-père maternel, séducteur polyglotte très religieux, dont une des sœurs est morte, en 1923, une semaine avant son mariage. Fasciné au point de consacrer sa thèse au thème de «la jeune épouse de la mort», Daniel Mendelsohn est également celui qui va remettre en cause le dogme. La grand-tante était en réalité mariée lorsqu’elle est morte. La famille engloutie par la folie nazie n’a pas été massacrée comme on l’a cru, elle s’est d’abord cachée dans un château (le fameux castle sur lequel repose l’énigme des Disparus). D’un côté gardien du temple, de l’autre rebelle, l’archiviste en herbe va devenir un universitaire spécialiste de littérature classique. Elément crucial : la beauté, transmise de génération en génération via le grand-père. Lorsqu’il comprend qu’il est attiré par les garçons et les amours impossibles, le jeune Daniel file vers le Sud et définit sa découverte en ces termes : «C’était là une culture que je pouvais comprendre, une culture qui avait créé une épopée romantique à partir d’une grande défaite, une civilisation qui avait su endurer la perte et des privations réelles parce qu’elle croyait en son propre mythe d’une beauté perdue, dont la possession, aussi brève et aussi lointaine fût-elle, avait élevé les exquis et déliquescents vaincus au-dessus des vulgaires et pratiques vainqueurs.» Dans sa famille, et en étudiant les Grecs, Mendelsohn dit avoir rencontré cette «fable».

On aurait tort de voir du déterminisme là où l’écrivain choisit les étincelles de la juxtaposition. Il est juif, attaché à sa mère, homosexuel, esthète et lettré. D’un côté, de l’autre, en grec «men…de» : l’Etreinte fugitive est construit sur ce rythme. D’une part, l’héritage, avec son cortège de traumatismes et de mensonges, puis le romantisme, l’étude, le retrait, d’autre part le sexe, la «culture gay»dont il décline les codes et les jeux, la géographie new-yorkaise, les signes distinctifs. Quelques allusions à la sculpture grecque s’imposent au passage, ainsi qu’une brillante digression sur les paradoxes du narcissisme. L’essentiel, pour Mendelsohn, est de montrer comment ces signes-là ne sont pas ceux du monde hétérosexuel, celui des hommes«sérieux» par opposition aux garçons. A propos des rencontres en ligne, il écrit que «la culture gay est le rêve de la masculinité, le rêve d’un monde d’éjaculations répétées et infiniment répétables. Lemariage et les femmes ont rendu ce rêve, sinon impossible, du moins impraticable dans la vie hétéro.» S’il analyse les hésitations de ses premières expériences de «drague de rue», quand il éprouve encore le besoin de faire quelques tours de pâté de maison avant de monter avec le garçon convoité, il n’hésite pas à rapprocher cette «chorégraphie» du rituel juif et funéraire observé à la mort de sa grand-mère.

Référent. Le plus beau balancement de l’Etreinte fugitive est encore ailleurs. Une partie de la semaine, Daniel Mendelsohn vit à Chelsea, parmi les siens, les garçons. Mais les siens, n’est-ce pas aussi bien cette femme et cet enfant qui l’attendent à une heure de train, près de l’université où il enseigne, l’autre moitié de la semaine ? Ayant eu un bébé toute seule, une de ses amies, d’origine italienne, lui a proposé d’en être le référent masculin. Quasi-père adoptif, sans l’être vraiment, conquis pourtant par la paternité, comment Daniel va-t-il se faire appeler ? L’enfant a d’abord dit Daddo, ce qui n’était pas satisfaisant, trop proche de Daddy. Il a fini par choisir Nanno : «Un croisement de mon prénom et de nonno, qui, en italien, veut dire grand-père.»

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