Simon Liberati, Jane Mansfield 1967(Grasset)



Aux basses heures de la nuit, le 29 juin 1967, sur un tronçon de la route US 90 qui relie la ville de Biloxi à La Nouvelle-Orléans, une Buick Electra 225 bleu métallisé, modèle 66, se trouva engagée dans une collision mortelle." La première phrase de Jayne Mansfield 1967 est aussi tranchante que le montant du pare-brise contre lequel la boîte crânienne de l'actrice blonde peroxydée a éclaté, avec une violence telle que longtemps a couru la rumeur d'une décapitation. Mais ce n'est qu'à la page 41 que le lecteur apprend l'identité de la passagère la plus célèbre du véhicule encastré sous un semi-remorque de 18 roues. Car, jusque-là, Simon Liberati s'attache à décrire l'accident dans le moindre détail - notes techniques sur les véhicules incriminés ; état de la route et des ouvrages d'art ; identité et caractéristiques des autres victimes, enfants de l'actrice, amant plâtré, chihuahuas exsangues... ; comportement des témoins, des acteurs de la chaîne de secours, de la presse... - jusqu'au constat irréfutable de l'enchaînement des faits. 

Une tragédie précédée d'une descente aux enfers

D'emblée, ce récit fouillé jusqu'à la maniaquerie fait basculer un banal accident en une tragédie précédée d'une descente aux enfers. Le luxe d'hypothèses, de témoignages et de recoupements donne le vertige au lecteur, propulsé à son corps défendant dans ce bain de sang. L'étourdissement, proche de l'état hypnotique, est le prix à payer pour embrasser la vie déréglée d'une actrice sex-symbol des années 1950 et saisir la portée de ce requiem sur fond de guerre du Vietnam et de triomphe du mouvement hippie. 
Derrière cet accident, il y a en effet la chute d'une star intelligente (un QI de 163, disait-on), cultivée, mélomane, mais manipulée et échouée dans le LSD. Et la fin d'une époque. "Jayne Mansfield, symbole de l'ancien Hollywood, créature de Frankenstein lancée par la régie publicitaire de la Fox contre Marilyn Monroe, un simple buste, une paire de seins qui poussait l'arrogance jusqu'à n'avoir jamais tourné de film correct, un monstre engendré par la presse poubelle et le néant des vieux studios poussiéreux, allait retourner dans le chaudron d'où tout le cinéma d'antan était sorti", constate le romancier. Après l'épisode du maccarthysme, Hollywood se prêtait à une seconde chasse aux sorcières, "celle des stars populaires, par les tenants d'une Amérique culturelle, inspirée du modèle européen". 

Simon Liberati, à l'aise au crépuscule

Simon Liberati, 51 ans, ami et héros de Frédéric Beigbeder dans Un roman français, grand lecteur d'Hollywood Babylon, de Kenneth Anger, familier de la faune interlope, qu'il a eu un malin plaisir à décrire depuis son Anthologie des apparitions (2004), est à son aise au crépuscule. L'air de rien, il vient d'écrire le scénario du second acte du Sunset Boulevard de Billy Wilder. Dans une interview accordée il y a deux ans au Nouvel Observateur, le romancier affirmait que son "goût de la décapitation" ne lui venait pas de Marie-Antoinette, "mais de la blonde Jayne Mansfield" (la thèse, on l'a vu, a été remise en cause). "Fixation oedipienne, ajoutait-il ; enfant, j'allais avec papa à la sortie des Folies Bergère, dans un café. Entre deux spectacles, maman sortait en peignoir. Elle était très maquillée et teinte en blonde." 
Jayne Mansfield 1967 n'est donc pas seulement un grand roman, c'est aussi le superbe cadeau d'un fils sur les traces de Truman Capote. 

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