Pierre Miltza Napoleon III







Sur Louis-Napoléon Bonaparte, on aura dit beaucoup de mal : Victor Hugo et Emile Zola en tête. Mais encore il y a peu : ainsi, en 1995, assis sur les bancs de l'université de Tolbiac, j'écoutais Christophe Charles, mon professeur d'histoire contemporaine, moquer gentiment le livre de Philippe Séguin, Louis Napoléon le grand : « Monsieur Séguin pense que Napoléon III a joué un grand rôle politique... Ah ! Je ne vois pas en quoi. » Cette réponse me laissait interdit car le personnage dont je suivais alors le parcours me paraissait étonnamment moderne, riche et passionnant et pour tout dire, gaullien : Christophe Charles avait tort ; Philippe Séguin et moi-même raisons. Il m'aura fallu attendre le Napoléon III de Pierre Milza pour en avoir la confirmation.




Quid de Pierre Milza ? Ce monsieur compte parmi les très grands historiens français : spécialiste de l'histoire contemporaine et de la double question du fascisme et de la démocratie, il s'imposait pour parler d'un Napoléon III, personnage dont la dimension populiste et peut-être annonciatrice du fasciste ne lui a pas échappé... Je me suis donc mis avec intérêt à la lecture de cette biographie. Le premier plaisir qu'on ressent à sa lecture vient de son style : jamais Pierre Milza ne tombe dans les travers de l'érudition en asphyxiant son lecteur sous les références ; ainsi, il conte naturellement le destin du fil de Hortense de Beauharnais comme si on le suivait dans un roman. Pourtant, Milza n'en reste pas moins précis dans son analyse des faits : tout commence donc avec la naissance d'un prince dans une période tumultueuse : un premier fils est né du couple formé par Louis (frère de Napoléon Ier) et Hortense (fille de Joséphine de Beauharnais, la première impératrice et femme de Napoléon Ier), mais il mourut trop vite en landau. Naquit ensuite un deuxième enfant, Napoléon Louis, auquel le roi Louis accorde son intérêt, mais il doute que le petit Louis Napoléon, futur Napoléon III, soit bien de lui, d'où un relatif désintérêt pour l'enfant durant ses jeunes années.




C'est dans le climat tumultueux des cent jours, période durant laquelle Napoléon Ier tente son dernier coup de poker, que Louis Napoléon s'ouvre à l'histoire. Il côtoie son oncle empereur et connaît ensuite l'exil avec sa mère et son frère aîné, après la défection de Napoléon Ier : une période dont il gardera sans doute des traces vives. Faute d'informations précises sur l'évolution psychologique de notre futur empereur, Milza préfère s'en tenir au fait, même s'il souligne les cauchemars et crises d'angoisse dont souffre un jeune garçon élevé par des femmes pour lesquels il aura un appétit insatiable.




Finalement, tout se décidera pour lui à Rome. Avec son frère, il s'y découvre une passion pour les intrigues, la révolution et le socialisme ! On a peine à le croire, mais le futur empereur fut en effet un jeune homme épris de liberté et de démocratie. Toutefois, quand bien même il rêve d'unité du peuple, il pense que la population a besoin d'un chef. Lui, pourquoi pas ! Après la mort de son frère, décédé d'une tuberculose, Louis Napoléon tente un premier coup d'état un peu rocambolesque qui échoue rapidement mais inquiète tout de même le pouvoir français, conscient de l'impact croissant du bonapartisme dans les esprits. Sa mère le libère mais ne tardera pas à décéder quelques temps plus tard d'un cancer. Meurtris par cette nouvelle, notre jeune aventurier n'en tente pas moins un second coup d'état à l'échec tout aussi lamentable, le privant même de l'honneur de mourir au pied de l'endroit où Napoléon Ier avait fait donner les premières légions d'honneur.




Mais le jeune aventurier de la politique ne désespère pas : l'élection du président au suffrage universel sera son casus belli. Revenu sur le territoire français, il se fait élire sur nom. S'engage alors un bras de fer avec l'assemblée dont plusieurs membres suspectent sa future prise de pouvoir. Mais contrairement aux idées reçues, les plus à gauche ne sont pas ceux que l'on imagine. L'assemblée est pleine de députés très inquiets de la montée des rouges et de l'anarchie dans le pays. Napoléon III incarne quant à lui le retour à l'ordre et des idées de droite tout en étant secrètement socialiste. La prise de pouvoir lors du 2 décembre lui laissera donc un goût amer lorsqu'il apprendra que nombreux furent les parisiens parfois bien innocents tombés sous les balles de militaires français trop zélés.




Arrivé à cet événement si particulier, au moment où il se fait élire empereur, Milza délaisse le récit chronologique pur qu'il empruntait alors pour consacrer presque tout le reste de son ouvrage à étudier les aspects thématico-chronologiques du règne. Sont ainsi passés à l'analyse la politique extérieur de Napoléon en Italie, les défiances avec l'Autriche, la libéralisation progressive du régime et sa main tendue aux ouvriers, la métamorphose de Paris par le baron Haussmann ou encore les déboires français à Mexico et l'absurde entrée en guerre de la France contre la Prusse qui conduira à la défait de Sedan... Impossible de résumer toute cette partie : en tout cas, elle est très riche et dès qu'il le peut, Pierre Milza rectifie les imageries d'Epinal ou les caricatures du règne. On découvre un empereur très moderne, européen, désireux de voir les peuples se libérer de la tutelle étrangère, autorisant le droit de grève et de réunion, favorisant la mutuelle ouvrière et tout cela en devant louvoyer face à son propre camp et même vis-à-vis des républicains. Personne ne croit un seul instant à l'humanité de l'empereur. Ou alors, personne ne l'accepte. Mais lui, en véritable homme de gauche, il doit avancer tout en dissimulant ses pensées et idées personnelles pour imposer progressivement ses conceptions.




Mais la maladie le rattrape : sa captivité au for de Ham, lors de son deuxième coût d'état a altéré sa santé. Un calcul biliaire accentue le problème : l'empereur souffre le martyr, prend de l'opium pour tenir, vit avec la mort présente sur son épaule. On n'ose imaginer à quel point cette santé dégradante a joué dans le désastre du Mexique et face à la Prusse. Pressé par une assemblée de va-t-en guerre et son épouse pressée d'en découdre, Napoléon III doit se lancer dans un conflit dont il doute. Autre preuve d'humanité : il se rendra après Sedan pour éviter des morts inutiles.




La fin de l'ouvrage permet à Milza de se livrer à une intéressante analyse du bonapartisme : il en étudie les fondements chez Napoléon Ier et Napoléon III avant d'en discuter la portée politique postérieure à la disparition du dernier empereur de France. Une réflexion importante, dans la mesure où aujourd'hui, le sociologue Alain Soral, rattaché à Jean-Marie Le Pen, rapproche Le Pen de Napoléon III. Napoléon est-il populiste ? Annonce-t-il le fascisme ? Une réflexion contenue en filigrane dans le livre et à laquelle Milza fait un sort. Oui, Napoléon III est populiste mais aussi paternaliste. Non, il n'incarne pas un proto-fascisme, bien au contraire car son régime n'a cessé de se libéraliser alors que le fascisme se durcit. Toutefois le bonapartisme a donné naissance à un double courant, celui fasciste de l'Action Française et celui profondément républicain de Charles de Gaulle. De fait, le régime populiste et plébiscitaire de Napoléon III n'annonce pas les heures sombres de la France : il envisage une manière de gouverner et de lier la société au chef de l'état en faisant fi des corps intermédiaires et en liant à volonté populaire et direction du pays.




Ce Napoléon III se conclut par une réflexion historiographique autour de la figure de l'empereur : on y constate que si le personnage a été diabolisé au lendemain de sa défaite : il s'agit de fonder la IIIème République en faisant table rase du passé ; bref, il s'agit de décrédibiliser l'empire pour valoriser le jeune république. Puis, après la restitution de Nice et de la Savoie, l'historiographie calme ses ardeurs contre Napoléon III puisque les territoires manquant à la France sont enfin récupérés. Les historiens acceptent donc de donner enfin une image fidèle du personnage de l'empereur.

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