Gilles Sebhan :Tony Duvert


Le 20 août 2008, dans une petite maison du Loir-et-Cher, on découvre le corps d'un homme, mort depuis plus d'un mois. À l'automne 1973, un jeune et brillant écrivain obtient le prix Médicis. C'est un des grands espoirs des Éditions de Minuit. Il représente une certaine parole sur l'enfance, une parole de transgression. Trente-cinq ans plus tard, c'est son corps qui sera retrouvé par les gendarmes. Cet homme s'appelle Tony Duvert. Entre ces deux moments, que s'est-il passé ? Que cache le silence d'un homme reclus en lui-même ? En menant l'enquête, Gilles Sebhan a voulu comprendre comment un grand auteur en arrive à se taire, et son œuvre à être occultée. Il a rencontré ceux qui ont côtoyé l'écrivain et nous livre ici un portrait biographique, qui est aussi un hommage au «saint patron de la révolte impossible».


Il fallait un écrivain "dérangeant" pour écrire sur Tony Duvert, le plus irrécupérable des romanciers et essayistes des années 1970. Gilles Sebhan, auteur de quatre romans violents et érotiques, assez provocants, mais qui témoignent d'une vraie réflexion sur la sexualité, sur la criminalité, sur les générations, l'est assurément. On n'est pas étonné de voir leurs noms associés, pour ce vibrant hommage, dont certaines pages témoignent d'une grande empathie, même si une sorte de lyrisme affligé l'emporte parfois sur la rigueur et l'attention précise qu'aurait méritées cette oeuvre considérable.

                                                                                     


De Tony Duvert, découvert mort un mois après son décès, il est parfois de bon ton de clamer qu'il fut un grand styliste, couronné par le prix Médicis (quand ce prix avait un sens littéraire et non éditorial) en 1973, pour Paysage de fantaisie. Mais il fut assez oublié de ses proches et de ses lecteurs pour qu'on ne s'alarme pas d'un silence qui dura de 1989 (année de sa dernière publication, Abécédaire malfaisant, recueil d'aphorismes insolents et brillants) à sa mort, en juillet 2008. Il fallut attendre un mois pour que ses voisins s'inquiètent du courrier accumulé dans sa boîte aux lettres et de ses volets obstinément fermés. Son corps pourrissait à l'intérieur de la petite maison du village de Loir-et-Cher où il s'était retiré depuis une vingtaine d'années, d'abord près de sa mère, puis seul. Silencieux, misanthrope, effacé.

Et l'on doit admettre que le caractère asocial de l'homme et de l'oeuvre, en ces temps de régression morale, en a détourné non seulement le public, mais la critique. Bertrand Poirot-Delpech écrivait, dans ces pages mêmes, il y a trente-sept ans : "Le jeune auteur qui monte, qu'on ne va pas tarder à citer et à imiter, c'est Tony Duvert." En 1988, à l'occasion d'une de ses rares rééditions en poche (L'Ile atlantique, "Points"), François Nourissier, regrettant probablement que le prix Goncourt lui ait échappé, comparait Duvert à Sade, à Genet, à Philip Roth.
                                                                              

En 2010, un éditeur recevant les manuscrits du Journal d'un innocent, d'Interdit de séjour (qui, en 1969, fut tout de même interdit à la vente aux mineurs, à la publicité et à l'exposition en librairie) ou de Portrait d'homme couteau, des essais L'Enfant au masculin ou Le Bon Sexe illustré n'aurait probablement pas la même témérité que Jérôme Lindon publiant, en 1967, (certes dans un tirage limité à 600 exemplaires) Récidive. Que s'est-il passé en un demi-siècle pour que la littérature doive être désormais passée au crible de la morale des plus belles années du Second Empire ? Ce sera la tâche des historiens de s'interroger là-dessus.

"Tous les enfants sont des hommes. Peu d'adultes le restent." Cet aphorisme fut une des dernières phrases publiées par Tony Duvert. Et c'est sans doute le concentré de toute sa pensée, revenant obsessionnellement au rapport des enfants et des adultes, au massacre de l'enfance par la coalition, qu'il juge irresponsable, des parents et des éducateurs. Mal à l'aise dans les années 1980, qui, sous couvert de feinte libération, annonçaient un recul, Tony Duvert dit adieu à la fiction avec un récit parodique, Un anneau d'argent à l'oreille (1982), peu aprèsavoir publié un roman quasiment naturaliste, L'Ile atlantique (1979), et son chef-d'oeuvre, Quand mourut Jonathan (1978).

C'est, plus qu'une biographie ou un essai critique, un récit poétique ou plutôt un "tombeau" qu'a écrit Gilles Sebhan, menant une enquête sur la vie de cet écrivain secret. Se recueillant devant son pavillon de banlieue, à Villeneuve-le-Roi, où il naquit le 2 juillet 1945, et devant la masure délabrée de Thoré-la-Rochette, où son corps fut retrouvé le 20 août 2008. Cherchant des traces de ses études, comme on l'a fait pour Arthur Rimbaud. Interrogeant ses rares amis lointains, longtemps fidèles, puis découragés. Reconnaissant sa dette à un maître.

Ce livre rend un hommage mérité à l'auteur, stratégiquement oublié, Tony Duvert. Rarement un prix Médicis est en effet suivi par un tel silence.
Gilles Sebhan dessine la vie de Tony Duvert, rencontre quelques amis, essaie de décrire les moments décisifs de sa vie et de sa carrière.
Ce qu'il n'a pas voulu montrer vivant, sa mort non plus nous l'expliquera. Acceptons le!
Ce livre n'est pas une étude littéraire de son oeuvre: ça reste à faire par quelqu'un de courage.
Gardons le silence maintenant et remercions Gilles Sebhan qui au moins a montré le respect qu'on a refusé à un auteur décédé dans une solitude immense.

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