LE MISANTHROPE de Molière


Avec Clotilde de Bayser, Denis Podalydès, Laurent Natrella, Michel Favory, Alberte Aveline. Dans une mise en scène à la fois classique et orientée vers une modernité discrète de Jean-Pierre Miquel, la pièce de Molière prend des accents subtilement féministes, et proches. Comédie-Française,

Il n'a pas de rubans verts, mais un simple habit grège sur un pantalon qui pourrait être d'aujourd'hui. Pas de perruque mais la légère calvitie d'un jeune quadragénaire torturé. Car il l'est torturé, cet Alceste qui fuit la compagnie des hommes, honnit l'hypocrisie de la Cour et des mondains, refusant ces « dehors civils que l'usage commande » et qui obligent à complimenter ce que l'on trouve pourtant stupide ou laid. La tête dans les mains souvent, le geste inachevé comme s'il s'en prenait à une divinité improbable, il refuse, radicalement, de jouer le jeu de la société. Mais il aime, et, ironie du sort, celle qu'il aime est une mondaine. Une coquette, qui sait, elle, faire croire à tous qu'ils lui sont précieux, alors que derrière leur dos elle s'en moque. Une femme libre, aussi, en ce siècle qui ne les aime guère. C'est peut-être pourquoi elle séduit tant l'intellectuel atrabilaire qui, lui aussi, loin des faux-semblants, cherche sa liberté, celle de la vérité.

Une Célimène très actuelle
Ce n'est pas une surprise mais tout de même, chaque fois, un bonheur : Molière, on peut le réciter les yeux fermés, à chaque nouveau rendez-vous, on « marche ». Et comme ce « Misanthrope » sans cesse revisité est l'une de ses pièces les plus fascinantes... Après celui de Jacques Lasalle, venu de Lausanne et qui réunissait à Bobigny Andrzej Seweryn et Marianne Basler, la Comédie-Française, qui l'a déjà monté trois fois dans le dernier quart de siècle (avec notamment, en 1984, Michel Aumont et Ludmila Mikaël) a la bonne idée d'en proposer aujourd'hui une version... an 2000, fidèle, actuelle, universelle. Au Vieux-Colombier, ce qui la rend plus intimiste. Et avec deux jeunes interprètes, un sociétaire tout neuf, Denis Podalydès, qui fut la saison dernière un remarquable « Revizor », et une pensionnaire de charme, Clotilde de Bayser.

C'est l'administrateur général de la Maison, Jean-Pierre Miquel, qui signe la mise en scène. Elle étonne d'abord. Non qu'elle ne reste, dans l'ensemble, très classique, mais parce qu'elle donne à Alceste un côté un peu inachevé, un peu hésitant, à la limite de la névrose, déroutant, alors que nous avons l'habitude que cet intellectuel reconnu ait, dans son humeur pitoyable et ridicule, plus d'assurance. Et puis, la pièce progresse, et avec elle... l'émotion. Elle vient éclairer d'une lumière noire un dernier acte magnifique dans son sombre décor qui, après le départ d'Alceste pour son « désert », laisse une Célimène, somptueuse dans une robe brillant de feux discrets sur fond de noir austère, fière et rompue tout à la fois dans sa solitude choisie. Elle fait glisser un long gant noir sur son bras comme à l'écran naguère une autre séductrice mais elle ne chante pas. C'est Händel, « Alcina », que l'on entend. Puis le silence...

Ce « Misanthrope » où Denis Podalydès, à la fois original et un peu frêle, ne semble pas toujours très à l'aise auprès d'interprètes sans surprises mais irréprochables, Alberte Aveline, Michel Favory, Isabelle Gardien, Laurent Natrella, doit beaucoup à la jeunesse, à l'assurance, à la finesse de Clotilde de Bayser, Célimène à la fois éternelle et étonnamment actuelle, qui fait presque basculer la pièce vers un élégant féminisme... sans que l'on sente là l'once d'un contresens. Vive Molière, décidément !


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