Justin Cronin : le passage


À mille lieues des histoires de vampires pour adolescents, Justin Cronin, sortant du cadre purement littéraire de ses romans précédents, nous présente des monstres à glacer les sangs, et la description merveilleusement angoissante d'une Amérique post-apocalyptique. Années 2010. Dans le Tennessee, Amy, une enfant abandonnée de six ans est recueillie dans un couvent... Dans la jungle bolivienne, l'armée américaine recherche les membres d'une expédition atteints d'un mystérieux virus... Au Texas, deux agents du FBI persuadent un condamné à mort de contribuer à une expérience scientifique gouvernementale. Lui et les autres condamnés à la peine capitale participant au projet mutent et développent une force physique extraordinaire. Les deux agents du FBI sont alors chargés d'enlever une enfant, Amy. Peu après que le virus a été inoculé à cette dernière, les mutants attaquent le centre de recherches. Près d'un siècle plus tard. Une communauté a survécu à l'apocalypse causée par l'attaque des viruls, ainsi qu'ont été baptisés les mutants. Une adolescente la rejoint bientôt. Une puce électronique implantée sous sa peau révèle qu'il s'agit d'Amy, âgée désormais de plus de cent ans mais qui en paraît à peine quatorze... L'aventure ne fait que commencer. Dès sa sortie en 2011, avec ses excellentes critiques, ce livre m'avait donné envie. Il faut dire que j'apprécie les romans longs (celui-ci fait 970 pages en grand format, et doit allégrement dépasser le millier en format de poche) et que Le passage était adoubé par Stephen King lui-même.
A la lecture du livre de Justin Cronin, on comprend ce qui a pu plaire au grand écrivain, tant Le Passage se situe dans la droite ligne du Fléau, par son mélange entre grandiose apocalyptique et intimité cauchemardesque.
Concrètement, ce roman n'a pas grand chose de nouveau à proposer. Mélange de fin de l'humanité et de lutte contre les vampires, Le Passage est un survival post-apocalyptique dont l'histoire ne brille pas par son extrême originalité. Cependant, Cronin est un formidable conteur et sait à merveille nous entraîner dans ses sentiers sans qu'on ait un seul moment envie de lui lâcher la main. Personnages variés et approfondis, rebondissements logiques et suffisamment nombreux pour nous maintenir en éveil permanent, alternance savamment dosée entre aventures épiques et caractérisation psychologique, et un final magnifique et inattendu. Cronin parvient à nous tenir en haleine pendant mille pages, et ça, déjà, c'est un exploit suffisant pour mériter de lire le livre, malgré, son absence d'originalité.
Mais ça ne s'arrête pas là. Le roman n'a pas oublié d'être intelligent aussi : réflexions sur ce qui constitue l'humanité, sur la nécessité (ou non) de s'unir en sociétés, sur la foi, vision désabusée du modèle occidental actuel, il y a beaucoup de choses à retirer de ce roman.
Le Passage est la première partie d'une trilogie, qui se poursuite avec Les Douze et City of mirors (ce dernier n'est pas encore traduit en français).(San Felice sens critique)extrait :
C'était terrible, pensa Théo, ce que le manque de sommeil pouvait faire à l'esprit. Privez-vous de sommeil assez longtemps, obligez votre cerveau à rester au garde-à-vous et à fonctionner jour après jour alors que vous crevez de fatigue – en faisant des pompes et des abdominaux sur un sol de pierre glacée à en avoir les muscles en feu, en vous flanquant des claques, en vous enfonçant les ongles dans la chair jusqu'au sang pour ne pas vous assoupir –, et avant longtemps vous ne saurez plus distinguer le pourquoi du comment, si vous dormiez ou si vous étiez réveillé. Tout se mélangerait. Ça devenait comme une souffrance, en pire parce que ce n'était pas une souffrance physique, la souffrance était votre esprit, et votre esprit, c'était vous. Vous étiez la souffrance incarnée.
p. 960, édition pocket
- Descends de là, Maus, dis sèchement Alicia. Toi, tu ne vas nulle part.
Mausami regarda autour d'elle dans une attitude de surprise qui sonnait faux, Peter s'en aperçut aussitôt. Tout le monde disait que Maus avait la chance de tenir de sa mère, physiquement - le même visage ovale, doux, les mêmes cheveux noirs, épais, qui, lorsqu'elle les dénouait, retombaient sur ses épaules en une vague noire. Elle était plus ronde que la plupart des femmes, mais c'était surtout du muscle.
- Qu'est ce que tu racontes ? Et pourquoi ça ?
Alicia, debout au pied de la monture de Mausam
Il ferma étroitement les paupières et s'obligea à une parfaite immobilité, attendant le bruit de la trappe arrachée de ses charnières. Son fusil était par terre, à côté de lui. Il pourrait tirer un coup ou deux, pas davantage.
Les secondes s’égrenèrent. D'autres tremblements au-dessus, la respiration âpre, frénétique, des viruls qui avaient flairé l'homme. Senti le sang dans l'air. Mais il y avait quelque chose d'inhabituel ; il percevait leur incertitude. La fille était plaquée sur lui. Le protégeant, lui faisant un bouclier de son corps. Au-dessus, le silence. Les viruls étaient-ils partis ? Une minute passa, puis une autre. Il cessa de s'interroger au sujet des viruls pour se demander ce que la fille allait faire. Enfin, elle descendit de son dos. Il se mit à genoux. Leurs deux visages n'étaient séparés que de quelques centimètres. La douce courbe de sa joue était enfantine, mais pas ses yeux, pas du tout, même.
Je l'ai regardé bien en face et jamais je n'oublierai ses yeux. C'étaient les yeux de quelqu'un qui sait qu'il pourrait aussi bien être mort. Quand vous avez ce regard-là, vous n'êtes ni jeune ni vieux, ni noir ni blanc, vous n'êtes même pas un homme ou une femme. Vous êtes au-delà de tout ça.

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