Peter Watts : Béhémoth



Cinq ans après les événements de Rifteurs, le monde s'écroule. Lenie a rapporté un terrible virus du fond des abysses. Béhémoth détruit la biosphère terrestre et tue des millions de gens. Tout autour du globe règne le chaos, tandis que l'ancien réseau Internet est aux mains de monstres artificiels révérant Lenie comme la Madone du désastre. Dans une station au fond de l'océan, quelques nantis espèrent un miracle. Mais Lenie est à leur recherche.
Dernier tome de la trilogie des Rifteurs, βehemoth vient clore la saga avec un récit plus orienté action, mais qui n’en conserve pas moins les thèmes chers à l’auteur canadien, comme la conscience et l’absence de conscience, mais aussi, de manière plus explicite ici, l’intérêt général contre celui de l’individu.


βehemoth est scindé en deux parties, qui reprennent tout simplement les décors respectifs du premier et du second volume. Durant un peu plus de deux cent pages, nous replongeons ainsi dans une station sous-marine des grands-fonds. Toute l’ambiance de Starfish est là : huis-clos dans les coursives et ténèbres des abysses. A la surface, le monde agonise, ravagé par le virus βehemoth et les guerres entre pro et anti apocalypse.
Sous l’eau, la station Atlantis accueille les Corpos, ces cadres de gouvernement et leurs familles en fuite, qui cohabitent avec les Rifteurs, les humains modifiés pour nager et respirer sous l’eau. Lénie Clarke fait partie de ces derniers. Sa croisade vengeresse par laquelle elle avait répandu le virus est oubliée. Finie l’indifférence glaciale des personnages de Peter Watts. Avec βehemothvient le temps des émotions, des regrets. Lénie, y trouvant une forme de catharsis, tente de maintenir un statu quo entre Rifteurs et Corpos qui se méfient les uns des autres. Le lecteur assiste à des complots sous-marins, et la tension monte à mesure que chaque camp accuse l’autre d’avoir posé des mines ou propagé une nouvelle maladie. Ken Lubin, le tueur compulsif qui ne se contrôle qu’en faisant appel à la logique, semble avoir ses propres plans obscurs, mais demeure inexplicablement lié à Lénie. Lorsque tous deux réalisent qu’un troisième élément, venant de la surface, pourrait être à l’origine des conflits entre Corpos et Rifteurs, ils décident de remonter à l’air libre pour faire face à un nouvel ennemi.
Le récit s’ouvre alors sur un paysage post-apocalyptique où les traitements contreβehemoth ne suffisent pas à tous les survivants. Tandis que quelques humains se terrent dans des cités fortifiées, les autres crèvent à cause du virus ou simplement des lâchers de napalm censés le ralentir. Vient alors un nouveau personnage fort, Taka Ouellette, une infirmière itinérante capable de tout guérir, sauf βehemoth. Avec une ambulance chargée d’armes robotisées qui assurent sa défense, elle sillonne des contrées mourantes pour guérir cancers et autres infections, ne faisant qu’apporter un confort temporaire aux condamnés.
En parallèle nous retrouvons Achille Desjardins, l’homme de pouvoir qui gère les systèmes permettant de brûler les zones touchées par βehemoth, habitants compris. Sauf que le mécanisme neurochimique qui lui interdisait de se rebeller contre une décision difficile a été détruit, et a emporté avec lui toute empathie, toute compassion. Si Achille avait aidé Lénie au début de la saga, il est aujourd’hui un monstre sans émotions qui cède à sa pulsion première : torturer sexuellement les femmes.
Comme si ce n’était pas suffisant, un nouveau virus vient couronner le tout, Seppuku, qui semble plus meurtrier encore que βehemoth. Lénie Clarke et Ken Lubin s’allient à Taka Ouellette pour tenter d’atteindre Achille et comprendre de quoi il retourne.


Peter Watts surprend par certains virages à cent quatre-vingt degrés qu’il prend dans cette conclusion. Son héroïne Lénie Clarke, soudain fragile et émotive, est si différente qu’elle en parait un autre personnage. Tout comme Achille, plutôt sympathique jusque-là, qui devient carrément abject. Un choix qui permet cependant de conférer un nouveau souffle à la série, qui prenait le risque de tourner en rond avec des descriptions en eau profonde superbes mais déjà lues. βehemoth c’est aussi de l’action délibérément exagérée. L’invulnérable Ken Lubin qui joue les tarzans sur les grues, ou qui, une fois totalement aveugle, parvient à poser un hélicoptère en panne et à massacrer ses ennemis, est à la limite de l’excès. Même chose pour l’ambulance et ses armes si perfectionnées qu’on n’en voit pas vraiment la nécessité, ou Achille Desjardins en super-méchant sadique. Bref, Peter Watts veut en mettre plein la vue, et prend le risque de verser dans le récit pop corn. Au chapitre des regrets, cette frontière trop nette entre les deux parties du récit. Une fois Lénie et Ken à la surface, la station Atlantis est ignorée, alors que l’on aurait apprécié de continuer un moment avec ceux qui restent sous la surface. Même chose pour cet internet pensant du futur, le Maelström, trop peu développé.



Malgré tout, et comme à son habitude, Peter Watts nous pousse à la réflexion. Jusqu’où la seule logique comptable pourra justifier le sacrifice d’humains pour en sauver d’autres ? Peut-on absoudre le mal passé en réparant le futur ? Que serions vraiment sans empathie ? Un Ken Lubin ou un Achille Desjardins ? Bref au-delà d’un bon moment de lecture avec une aventure presque page-turner, Watts continue de nous promener dans ses doutes. Un auteur qu’on ne va pas lâcher.

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