Paul Lafargue : le droit à la paresse la paresse




Et si j'entame du texte de Lafargue était le secret du succès jamais démenti mais ambigu de ce Droit à la paresse ?
«Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie est l'amour du travail.
Et si Le Droit à la paresse était beaucoup plus qu'un pamphlet superbement écrit ? S'il contenait une compréhension essentielle de la transformation nécessaire et actuelle de nos sociétés à travers la nature même du travail productif ?
Oui, la paresse est la mère de toutes les vertus, car elle est ce par quoi l'homme cherche à économiser ses forces, à surmonter ses déceptions. C'est elle qui lui fait inventer des organisations sociales, révolutionner des techniques, imaginer des cultures. Cela, toutes les idéologies de la performance, de la réussite individuelle ou du productivisme ne parviendront jamais à l'effacer.
Éloge de la valeur paresse.
L’homme politique, journaliste et écrivain Paul Lafargue (1842-1911) rédigea cet essai qui le rendit célèbre, tandis qu’il était incarcéré à Paris pour propagande révolutionnaire, en réponse aux paroles de Thiers qui appelait l’homme à souffrir au travail et à ne pas jouir de la vie, et en réfutation du droit au travail de 1848 (sous-titre de l’essai).
«Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l’amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture.»
Initialement publié en feuilleton en 1881, puis en 1883 en un volume, réédité aux éditions Mille et une nuits en 1994, chez Allia en 1999 et au Passager clandestin en 2009, ce texte classique reste passionnant et plus que jamais d’actualité. Paul Lafargue s’y étonne et s’insurge contre la sacralisation de la valeur travail en particulier dans une classe ouvrière alors soumise à des conditions de travail quasiment inhumaines.

Il faut choisir le bon moment pour se lancer dans cette lecture…
Elle paraîtra bien adaptée  à celui qui déciderait d'ouvrir ce livre au début de ses congés payés car Lafargue s'attaque moins au travail intellectuel d'apprentissage qu'au travail répétitif et abrutissant qui est avant tout motivé par l'acquisition de son gagne-pain.
En revanche, lecture à éviter peut-être pour celui pour qui les congés payés ne sont encore qu'un vague mirage : se faire comparer à un lourd bovin des prairies auvergnates et se faire rappeler l'abrutissement sévère qui est le sien ne saurait certainement pas remonter le moral après une longue journée à assembler des vis et des boulons, à rédiger des compte-rendu de réunion, ou à apporter des cafés à son supérieur et à ses collègues.
Aucune caste socio-professionnelle n'est épargnée par le constat de Lafargue : les politiciens, économistes et religieux sont les vecteurs de doctrines aptes à asservir les ouvriers, qui s'imaginent travailler pour leur bien et leur indépendance alors qu'ils ne servent qu'à enrichir le patron ou les bourgeois. Là où Lafargue surprend, c'est qu'il ne fustige pas entièrement ces vilains riches pleins de sous. Non, eux aussi sont victimes de la morale et des valeurs d'une société dédiée au labeur : contraints de s'enrichir toujours plus pour permettre aux ouvriers sans cesse plus nombreux d'avoir du travail, ils finissent par se morfondre d'une vie trop facile et ennuyeuse. C'est pour eux qu'on détourne une grande partie de la population active pour former cette caste qu'on nomme aujourd'hui le secteur tertiaire –celui des services. Des gens inutiles, qui n'ont d'autre mission que celle de distraire les bourgeois devenus malheureusement riches à cause des ouvriers qui se tuent malheureusement à la tâche, parce qu'ils croient aux discours faussement émancipateurs qu'on leur inflige.
Lafargue expose ce point de vue original avec une dérision souvent drôle. Il arrive à transformer cette agitation des sociétés capitalistes en une scène de théâtre absurde, uniquement dirigée par une poignée d'orateurs à l'esprit tordu. Où sont passés les philosophes de la Grèce Antique ? Eux, au moins, comme bon nombre d'autres peuples sauvages que Lafargue n'hésite pas à rappeler, avaient compris la nature aliénante du travail. Ces civilisations sont brandies comme des modèles, souvent comparées d'une manière caricaturale –mais drôle- à notre pauvre société qui s'est créée son propre malheur.
Lafargue a toutefois beau forcer le trait –procédé auquel on le sent obligé de recourir s'il se veut efficace, eut égard à la brièveté de son manifeste- jamais il ne paraît réducteur. L'enfermement dans lequel nous vivons ne provient que d'une chose : l'erreur qui est la nôtre lorsque nous pensons nous émanciper par le biais du travail acharné. Etant donnés les progrès techniques et technologiques qui caractérisaient la société du 19e siècle, 3 heures de travail quotidien auraient suffi à assurer son bon fonctionnement. Mieux que cela, tout le monde aurait enfin pu occuper une fonction et aurait disposé de suffisamment de temps pour se consacrer à ce que tout bon employé rêve de faire lorsqu'il s'image en vacances, mais qu'il ne fait jamais lorsqu'il l'est enfin –effrayé par la perspective de tout ce temps d'oisiveté qui se présente face à lui- : se prélasser, passer du temps en bonne compagnie, faire ripaille, se promener, instruire son esprit…
Heureusement que Lafargue n'exclut pas l'activité intellectuelle –modérée et motivée par le plaisir- de son Droit à la paresse : on se sentirait presque coupable de ne pas occuper notre temps libre à faire plutôt une petite sieste…Mais, au fait, pourquoi prendre de son temps libre pour effectuer cette lecture ? L'idéal reste certainement de lire ce manifeste pendant ses heures de travail, détournant ainsi la productivité de ses quotas de rendement exigés, et effectuant un bel hommage à la pensée de Lafargue… 
Ah, que c'est bon, ce style pamphlétaire fin XIXème ! Plein d'hyperboles, de caricatures grivoises d'illustres politiques et capitaines d'industrie aujourd'hui totalement oubliés, ça sent encore la poudre de 48 et déjà tellement la Première Internationale... L'athée cite la Bible pour "confondre les jésuites", et le révolutionnaire, contre les moralistes, Platon, Cicéron, Hérodote, Xénophon, et j'en passe. Et puis, quel personnage tragique, que ce gendre de Marx !
Vous voulez en goûter, de l'hyperbole ? Tenez :
"La France capitaliste, énorme femelle, velue de la face et chauve du crâne, avachie, aux chairs flasques, bouffies, blafardes, aux yeux éteints, ensommeillée et bâillant, s'allonge sur un canapé de velours ; à ses pieds, le Capitalisme industriel, gigantesque organisme de fer, masque simiesque, dévore mécaniquement des hommes, des femmes, des enfants, dont les cris lugubres et déchirants emplissent l'air ; la Banque à museau de fouine [tiens tiens, déjà !], à corps d'hyène et mains de harpie, lui dérobe prestement les pièces de cent sous de la poche." (p. 80)
Une gourmandise littéraire que ce style, donc, qui valut à l'auteur d'être d'autant moins pris au sérieux qu'il a été souvent cité.

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