Stephen Zweig : Le monde d'hier



Le monde d’hier, c’est la Vienne et l’Europe d’avant 1914, où Stefan Zweig a grandi et connu ses premiers succès d’écrivain, passionnément lu, écrit et voyagé, lié amitié avec Freud et Verhaeren, Rilke et Valéry… Un monde de stabilité où, malgré les tensions nationalistes, la liberté de l’esprit conservait toutes ses prérogatives.
Livre nostalgique ? Assurément. Car l’écrivain exilé qui rédige ces «souvenirs d’un Européen» a vu aussi, et nous raconte, le formidable gâchis de 1914, l’écroulement des trônes, le bouleversement des idées, puis l’écrasement d’une civilisation sous l’irrésistible poussée de l’hitlérisme...
Parsemé d’anecdotes, plein de charme et de couleurs, de drames aussi, ce tableau d’un demi-siècle de l’histoire de l’Europe résume le sens d’une vie, d’un engagement d’écrivain, d’un idéal. C’est aussi un des livres-témoignages les plus bouleversants et les plus essentiels pour nous aider à comprendre le siècle passé.

Rédigé en 1941, alors que, émigré au Brésil, Stefan Zweig avait déjà décidé de mettre fin à ses jours, Le Monde d'hier est l'un des plus grands livres-témoignages de notre époque. Zweig y retrace l'évolution de l'Europe de 1895 à 1941, le destin d'une génération confrontée brutalement à l'Histoire et à toutes les "catastrophes imaginables". Chroniqueur de l'Âge d'or européen, Zweig évoque avec bonheur sa vie de bourgeois privilégié dans la Vienne d'avant 1914 et quelques grandes figures qui furent ses amis : Schnitzler, Rilke, Romain Rolland, Freud ou Valéry. Mais il donne aussi à voir la montée du nationalisme, le formidable bouleversement des idées qui suit la Première Guerre Mondiale, puis l'arrivée au pouvoir d'Hitler, l'horreur de l'antisémitisme d'État et, pour finir, le «suicide de l'Europe.» «J'ai été témoin de la plus effroyable défaite de la raison» écrit-il.

Analyste de l'échec d'une civilisation, Zweig s'accuse et accuse ses contemporains. Mais, avec le recul du temps, la lucidité de son testament intellectuel frappe le lecteur d'aujourd'hui, de même que l'actualité de sa dénonciation des nationalismes et de son plaidoyer pour l'Europe.

Rédigé en 1941 au Brésil, Stefan Zweig adresse à son éditeur, peu avant son suicide en compagnie de son épouse, le 23 février 1942, cet important témoignage d'une époque où en Autriche, toute sa génération est passée d'une période de pleine sécurité, d'une grande stabilité, à une période plongée dans l'horreur. C'est extrêmement émouvant de l'imaginer à sa table en train d'écrire, se retournant sur toute l'histoire de l'Europe comme sur sa propre histoire, afin de laisser derrière lui un témoignage d'une grande richesse historique.
Ce n'est pas son testament personnel, le lecteur ne trouvera pas de bribes de son intimité, de ses relations amoureuses, mais plutôt le testament de toute une époque qui va de 1895 à 1941 assorti de sa propre réflexion d'observateur, avec toujours cette merveilleuse écriture qui le caractérise.
Il part de sa période scolaire afin de mettre en évidence sa propre critique d'une période qui lui aura paru monotone, étouffante. Il ne garde pas un bon souvenir de ses enseignants qu'il a trouvé imbus d'eux-mêmes, ne cherchant nullement l'épanouissement de l'élève, mais plutôt sous une discipline de fer, à dompter les personnalités individuelles de chaque enfant. D'ailleurs, il est un élève moyen. C'est l'université, où il s'inscrit en philo, qui va lui apporter ce souffle de liberté auquel il aspirait tant.
Descendant par son père, d'une famille juive de Moravie, industriel qui a fait fortune dans le textile en Bohême, et par sa mère, d'une famille juive allemande, il pourra ne pas travailler et laissera son frère, Alfred, reprendre les rennes de l'entreprise familiale.
A cette époque, l'antisémitisme fait partie du décor. Emancipés depuis 1848 et ayant réussi leur ascension sociale, les juifs viennois font partie de l'élite brillante : ils occupent un tiers des professions libérales et représentent plus de la moitié des médecins et des avocats et trois quart des journalistes : ce qui leur vaut en retour rancoeur et inimitiés. D'ailleurs, à cet effet, les premières pages de son témoignage m'ont donné l'impression qu'il éprouvait le besoin de se justifier de sa judéité et d'expliquer son judaïsme éclairé.
Il dépeint très bien la Vienne d'alors. C'est un monde solide, tranquille, pérenne mais somnolent à l'image de l'empereur François-Joseph, monté sur le trône à 18 ans, en 1848. Et la jeunesse n'a pas sa place, la génération précédente ne lui fait pas confiance. Pourtant avec la nomination de Gustave Mahler, à moins de 40 ans, directeur de l'opéra impérial, un murmure d'inquiétude va parcourir Vienne. L'approche du nouveau siècle va réclamer un ordre nouveau et Vienne deviendra le centre d'un renouveau artistique dans le domaine des arts : peinture, littérature et musique.
Pourvu de son diplôme il va alors voyager, s'affranchir de son milieu familial. le lecteur va s'embarquer avec lui et rencontrer Théodore Herzl, Rainer Maria Rilke, Rodin, Romain Rolland, Verhaeren, Ratheneau, Gorki, Mussolini, Freud, et bien d'autres. C'est passionnant pour celles et ceux qui veulent en savoir plus sur cette période.
Zweig est un cosmopolite, il est modeste et doux, il aime l'Autre, ces voyages l'amèneront à rêver d'une Europe sans frontière, c'est un pacifiste, il ne comprend pas, au moment des guerres, pourquoi rejeter celui que l'on a aimé hier. Il n'aime pas les conflits, il les évite, il a besoin d'amour, d'amitié, peut-être dû au fait que la société viennoise de son enfance ne laissait pas de place aux enfants et évitait soigneusement toutes démonstrations d'affection. Enfin je ne sais pas ! Chaque individu est unique et différent. Mais un écrivain qui nous laisse « La Confusion des sentiments » ne peut être qu'un « écorché vif » un être qui a été cruellement atteint dans sa chair, dans son âme, un être qui comprend, est à l'écoute de l'Autre avec bonté, plein d'une compassion fraternelle et pour qui la création artistique devient la beauté du monde dans un monde qui part à la dérive et va droit vers la folie, l'horreur, l'insoutenable car en plus, il était clairvoyant.
Il évoque aussi sa manière d'élaguer ses textes, son besoin de perfection, comment il va droit au coeur de ses oeuvres.
A aucun moment je n'ai ressenti de lamentations, de nostalgie mais plutôt l'analyse des causes ayant entraîné une première guerre mondiale elle-même ayant engendré une deuxième guerre mondiale. Toutes ces atrocités sont devenues insoutenables pour cet homme pour qui j'ai une profonde affection.
Friderike Zweig, les larmes aux yeux, dira « Un homme qui aima profondément ses semblables ».

Un extrait : "Je dois à la vérité avouer que dans cette première levée des masses, il y avait quelque chose de grandiose, d'entraînant et même de séduisant, à quoi il était difficile de se soustraire. Et malgré toute ma haine et mon horreur de la guerre, je ne voudrais pas être privé dans ma vie du souvenir de ces premiers jours ; ces milliers et ces centaines de milliers d'hommes sentaient comme jamais ce qu'ils auraient dû mieux sentir en temps de paix : à quel point ils étaient solidaires. Une ville de deux millions d'habitants, un pays de près de cinquante millions éprouvaient à cette heure qu'ils participaient à l'histoire universelle, qu'ils vivaient un moment qui ne reviendrait plus jamais et que chacun était appelé à jeter son moi infime dans cette masse ardente pour s'y purifier de tout égoïsme. Toutes les différences de rangs, de langues, de classes, de religions, étaient submergées pour cet unique instant par le sentiment débordant de la fraternité. Des inconnus se parlaient dans la rue, des gens qui s'étaient évités pendant des années se serraient la main, partout on voyait des visages animés. Chaque individu éprouvait un accroissement de son moi, il n'était plus l'homme isolé de naguère, il était incorporé à une masse, il était le peuple, et sa personne, jusqu'alors insignifiante, avait pris un sens. Le petit employé de la poste qui, d'ordinaire, ne faisait que trier des lettres du matin au soir, , qui triat et triait sans interruption du lundi au samedi, le commis aux écritures, le cordonnier avaient soudain dans la vie une autre perspective, une perspective romantique : ils pouvaient devenir des héros. [...] Mais peut-être une puissance plus profonde, plus mystérieuse, était-elle aussi à l'oeuvre sous cette ivresse. Cette houle se répandit si puissamment, si subitement sur l'humanité que, recouvrant la surface de son écume, elle arracha des ténèbres de l'inconscient, pour les tirer au jour, les tendances obscures, les instincts primitifs de la bête humaine, ce que Freud, avec sa profondeur de vues, appelait "le dégoût de la culture", le besoin de s'évader une bonne fois du monde bourgeois des lois et des paragraphes, et d'assouvir les instincts sanguinaires immémoriaux. Peut-être ces puissances obscures avaient-elles aussi leur part dans cette brutale ivresse de l'aventure et la foi la plus pure, la vieille magie des drapeaux et des discours patriotiques — cette inquiétante ivresse des millions d'êtres, qu'on peut à peine peindre avec des mots et qui donnait pour un instant au plus grand crime de notre époque un élan sauvage et presque irrésistible."

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Lonsam Studio photo gay japon

Bret Easton Ellis : Les éclats 2023.

Jean Desbordes