Jean-Paul Sartre : Les chemins de la liberté, tome 2 : Sursis



L'avion s'était posé. Daladier sortit péniblement de la carlingue et mit le pied sur l'échelle il était blême. Il y eut une clameur énorme et les gens se mirent à courir, crevant le cordon de police, emportant les barrières... Ils criaient «Vive la France ! Vive l'Angleterre ! Vive la Paix ! », ils portaient des drapeaux et des bouquets. Daladier s'était arrêté sur le premier échelon : il les regardait avec stupeur. Il se tourna vers Léger et dit entre ses dents :
— Les cons !

Si toi aussi, tu es du genre à te poser des questions. A te demander qui tu es, pourquoi tu es... Si toi aussi, tu réalises que rien n'a de sens ; et que cela t'angoisse. Alors tu devrais lire cette oeuvre.
Avec un mot simple, avec une simple phrase, Sartre arrive à te toucher jusqu'au fond de ton âme. Cette France en peine qui cherche à savoir ce qui lui arrive résonne étrangement dans notre XXI ème siècle. Et puis tu pleures toutes les trois pages, parce que tout ça a l'air vrai. En fait, tu finis par penser que c'est vrai. Parce que Gros-Louis est trop simple et gentil, le monde profite de lui. Parce qu'Odette n'est qu'une femme, et en avoir conscience est difficile. Parce que Sarah veut la paix. Parce que les villes sont mortes, les rues vides, et ça ressemble à un dimanche pluvieux. Parce que Philippe ne veut pas faire la guerre, et veut que les gens l'aiment. Parce que Mathieu réalise que c'est la fin de sa vie, et qu'il n'a jamais été libre. Parce que Charles n'est qu'un spectateur allongé dans le monde des debouts. Parce que Daniel se pense abomination. Parce qu'Ivich réalise, en se réveillant en pleine nuit, qu'elle existe et que personne ne s'en rend compte.

Ce roman est plein de prises de conscience bouleversantes. Sa construction est plus qu'intéressante... En le lisant, tu auras l'impression de voir un film. Les scènes s'enchaînent, se coupent, s'entrecoupent, se superposent. Les personnages vivent, pensent, rêvent, mais n'agissent pas.

Le Sursis, c'est être un peu tous ces personnages à la fois. Et en lisant, tu te sens un peu comme Odette.

Magnifique écriture, fantastique superposition de personnages au point que chacun devioent lui même et les autres. Intelligence du propos et de l'analyse historique.

Extrait : Ouvert, ouvert, la cosse éclate, ouvert, ouvert, comblé, moi-même pour l’éternité, pédéraste, méchant, lâche. On me voit ; non. Même pas : ça me voit. Il était l’objet d’un regard. Un regard qui le fouillait jusqu’au fond, qui le pénétrait à coup de couteau et qui n’était pas son regard ; un regard opaque, la nuit en personne, qui l’attendait là, au fond de lui, et qui le condamnait à être lui-même, lâche, hypocrite, pédéraste pour l’éternité. Lui-même, palpitant sous ce regard et défiant ce regard. Le regard. La nuit. Comme si la nuit était regard. Je suis vu. Transparent, transparent, transpercé. Mais par qui ? Je ne suis pas seul, dit Daniel à haute voix.


Extrait : Une gifle de plus, je les rendrai toutes. Les larmes lui vinrent aux yeux. Il avait le droit de se mettre en colère, mais ce qu'il ressentait c'était de la stupeur. Comment font-ils tous pour être si durs, ils ne désarment jamais, ils sont aux aguets, à la moindre erreur ils vous sautent dessus et vous font mal. Qu'est-ce que je lui ai fait? Et à eux, là-bas, dans le salon bleu, qu'est ce que je leur avais fait? J'apprendrai les règles du jeu, je serai dur, je les ferai trembler.

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