Irvin Yalom : Le problème Spinoza.

Viens de finir : Coup de cœur 9/10 le problème Spinoza de Irvin Yalom. L'idée de faire cohabiter dans un même roman Baruch Spinoza, le philosophe du 17ème siècle, et Alfred Rosenberg, l'idéologue du national-socialisme, est pour le moins originale. Irvin Yalom prend visiblement plaisir à relever les défis audacieux et son roman ''Le problème Spinoza'' met en parallèle le parcours de vie de deux hommes à trois siècles d'intervalle, deux hommes que tout sépare hormis peut-être la célébrité posthume. Deux essais, le premier complexe, le second effrayant, ont servi de base à cette œuvre romanesque. Psychiatre de formation et féru de philosophie, Irvin Yalom a trouvé tour à tour dans “l'Éthique” de Spinoza et dans “Le Mythe du vingtième siècle” de Rosenberg le terreau inspirateur à ce roman qui restitue alternativement d'un chapitre à l'autre la pensée du philosophe juif et celle du criminel nazi. Rationaliste par excellence, Spinoza croyait à une religion universelle de la raison dans laquelle Dieu est la Nature. Pour Spinoza il n'y a pas de bonheur éternel dans l'au-delà, parce que l'au-delà n'existe pas. Son excommunication à l'âge de 24 ans par la communauté juive d'Amsterdam l'obligera à adopter une condition de paria jusqu'à la fin de sa vie. Cet inconfort extrême ne l'empêchera pas de poser les bases d'une philosophie novatrice et d'être reconnu comme un précurseur des Lumières. Depuis lors, beaucoup se reconnaissent dans le spinozisme, ainsi l'illustre Goethe vénérait-il la pensée de Spinoza. C'est bien là que le bât blesse et le théoricien nazi Rosenberg se perd en conjectures : comment le grand Goethe, l'emblème, la fierté du peuple allemand depuis un siècle, a-t-il pu être subjugué par les écrits d'un juif ? Comment a-t-il pu écrire que Spinoza était un être remarquable ? Adepte depuis l'adolescence des thèses racialistes de l'écrivain Chamberlain selon lequel subsiste à l'état pur en Allemagne une race supérieure, Rosenberg sera obnubilé sa vie durant par la préservation de cette soi-disant pureté de la race aryenne. Il pensait déjà dans les années vingt que la question juive ne serait résolue que le jour où le dernier juif aurait quitté le grand espace allemand. Le délire paranoïaque de Rosenberg verra son ultime concrétisation deux décennies plus tard dans l'horreur de la “Solution finale”. Spinoza et Rosenberg épanchent leurs états d'âme respectifs auprès de personnages fictifs tout droit sortis de l'imagination de l'auteur. Des esprits chagrins ne manqueront pas de souligner la grande latitude avec laquelle Irvin Yalom revisite l'Histoire. Qu'importe ! La grande majorité des lecteurs devrait apprécier la construction savamment étudiée de ce roman. “Le Problème Spinoza” semble dépasser les bornes du roman historique mais les fantaisies de l'écrivain ne sont jamais hors du champ du plausible. Il est rare de trouver un livre à ce point passionnant de bout en bout et la pensée de Spinoza traduite par Irvin Yalom est d'une incroyable limpidité comme en témoigne ce court extrait : ”Il semble paradoxal de dire que les hommes sont plus utiles les uns aux autres quand ils suivent chacun leur propre chemin. Mais il en va ainsi lorsqu'il s'agit d'hommes de raison. Un égoïsme éclairé mène à l'entraide. Nous avons tous en commun cette capacité à raisonner, et le vrai paradis sur terre adviendra le jour où notre engagement à comprendre la Nature, ou Dieu, remplacera toutes les autres attaches, qu'elles soient religieuses, culturelles ou nationales.” Les espérances utopiques du grand philosophe ne sont malheureusement pas près de se réaliser. L'actualité apporte chaque jour son lot de malheurs et la barbarie des hommes semble sans limite et sans fin comme si les enseignements tirés des périodes les plus sombres de l'Histoire étaient vite oubliés. Heureusement, quelques artistes arrivent encore de temps à autre à éveiller les consciences par leur faculté à entrevoir la face cachée des choses, à mettre en lumière l'inacceptable. j'ai essayé de lire du Spinoza sans rien y comprendre. mais l'écoute sur You Tube de plusieurs émissions de philosophie ont éveillé à nouveau mon intérêt. Et j'ai donc opté pour la lecture de ce roman historique. Spinoza prend vie dans ses pages et l'auteur du roman, Irvin D. Yalom, construit l'intrigue du roman avec un soin exquis afin de ne pas trahir les données biographiques que nous avons sur l'auteur (même si, bien sûr, il doit se permettre des licences cohérentes avec ce qu'il dit (nous savons de lui) et encore moins, le contenu de sa philosophie. Avec clarté, nous voyons les rues d'Amsterdam et la vie de la communauté juive qui s'y trouve. On assiste à la formation de la pensée de Spinoza, son apprentissage du latin, sa relation avec le cercle d'intellectuels qui le protégeait, l'expérience de l'excommunication, sa relation avec ses frères… En contrepoint, on nous raconte comment un monstre du nazisme : Alfred Rosenberg. Alfred Rosenberg vécut obsédé par Spinoza (son admiration pour le philosophe juif s'opposait à son sentiment de suprématie aryenne) et vola même au musée hollandais, où elle était conservée, la bibliothèque de Spinoza, composée de quelque 159 volumes. Yalom raconte donc deux moments historiques (celui des Pays-Bas au XVIIe siècle et celui des décennies de boom et de pouvoir nazis au XXe siècle) mettant en parallèle le harcèlement subi par Spinoza à l'intérieur et à l'extérieur de la communauté juive et l'anti- L'antisémitisme de la société allemande qui l'a conduite à une opération inédite d'extermination des juifs. Dans le roman on voit Spinoza comme un « être vivant » et Spinoza comme un philosophe avec qui le psychiatre qui soigne Alfred Rosenberg tente de faire triompher la Raison. Il échoue dans sa tentative car, comme le disait Spinoza, une émotion n'est pas liée à la raison, mais à une autre émotion. Pour Spinoza, bien sûr, cette autre passion était la passion de la Raison, mais cela n'est pas à la portée de la plupart. Le psychiatre échoue avec Rosenberg et montre une analyse troublante de l'impossibilité de la raison de détruire ces monstres. On trouve de tout dans les best-sellers que j'appelle "livres de piscine" parce qu'ils ne flottent sur les sujets dont ils traitent, ils baignent dans l'actualité que les journaux ou magazines n'ont pas explorée et, s'ils coulent (ce sont des bateaux qui naviguent dans tout les sens et qui peuvent amarrer dans n'importe quel port), il ne se passe rien. Parmi les écrivains de best-sellers historiques certains parviennent à naviguer parfaitement en haute mer. Alexandre Dumas et ses romans sur le monde de Louis XIII et du cardinal de Richelieu (Les Trois Mousquetaires, vingt ans plus tard), Ken Follet et ses récits médiévaux sur les cathédrales et les pestes, ou sa trilogie sur le XXe siècle, Umberto Ecco et ses histoires réflexives (Le nom de la rose, Baudolino, le pendule de Foucault)… le lecteur choisit ce qu'il veut, affronter, s'amuser ou simplement chercher quelque chose qui l'endorme ou qui l'éloigne de la réalité environnante. Dans tous les cas, un livre, comme l'a dit Oscar Wilde, ne devrait être tenu que par l'obligation d'être bien écrit (grammaticalement correcte) et raconter une histoire qui se tienne. Il y en des auteurs qui n'arrivent même pas à ça surtout lorsque l'on navigue dans les eaux troubles de la la conspiration ou de la philosophie : Dan Brown qui, usant de toutes sortes de deus ex machina (tout se résout de manière inattendue et hors logique) et ses Illuminati pseudo-scientifiques peut néanmoins procurer du plaisir aux lecteurs qui lisent comme on regarde un thriller sur écran. L'inénarrable Paolo Coelho qui depuis "l'alchimiste" fait croire à ses lecteurs qu'il écrit des romans philosophiques alors qu'on en est loin du compte… Dans les très bons auteurs de best-Sellers Irvin Yalom est incontournable. Avec par exemple ce "problème Spinoza " on a un excellent roman historique, un excellent roman philosophique et un traité de psychologie pour un effet trois en un pratiquement parfait. Un livre qui nous encourage à connaître Spinoza et à nous intéresser à deux époques bien différentes (celle du juif sépharade et celle du nazi) Dans les deux cas, les persécutions de la simple raison ont été nombreuses et cela semble se produire à nouveau de nos jours. les démarches du philosophe contre les croyances et dogmes non raisonnées me semblent d'une actualité furieuse et très proche de la réalité de notre XXIe siècle. Le style platonique des dialogues rend la compréhension des théories si complexes en apparence , simples et proches dans leur réalité. Le problème de Spinoza est une manière intéressante d'appréhender la thérapie de la quête de sens et de montrer combien cette recherche est nécessaire en tant que principe vital. C'est ça la vraie éducation.

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