Catherine Dufour : le goût de l'immortalité.

Mandchourie, an 2113. La ville de Ha Rebin dresse ses tours de huit kilomètres dans un ciel jaune de toxines. Sous ses fondations grouille la multitude des damnés, tout autour s'étendent les plaines défoliées de la Chine. Le brillant Cmatic est mandaté par une transnationale pour enquêter sur trois nouveaux cas d'une maladie qu'on croyait éradiquée depuis un siècle. Ses recherches le mènent à Ha Rebin, où il rencontre une adolescente étrange. Avec elle, il va tenter de mener à bien sa mission dans un monde qui s'affole : décadence américaine, pandémie sanglante, massacres génétiques, conquêtes planétaires et montée de l'extrémisme vaudou. Et affronter le rêve le plus fou de l'humanité : l'immortalité, ou ce qui y ressemble... Combien d'entre nous sont vraiment assez sages pour souhaiter échapper à la grande roue ? La vie est une drogue terrible. En choisissant de me tourner vers le Goût de l'Immortalité, je savais que j'allais me plonger dans le lauréat du Prix Rosny Aîné 2005 et du Grand Prix de l'Imaginaire 2007, des prix prestigieux récompensant la SF francophone. Tout d'abord, l'histoire de ce roman ne prend pas place sur une planète lointaine ni en Amérique, mais en Mandchourie. Quand ? Dans quelques siècles. Deux ou trois. Il s'agit d'un avenir dystopique (c'est-à-dire grosso modo qu'il n'est pas trop fun) qu'on n'a pas trop de mal à s'imaginer : l'humanité n'y est pas très différente de celle qu'on connaît, elle a simplement continué son bout de chemin pour le meilleur mais surtout pour le pire, guidée par les épidémies, la pollution et les progrès de la génétique. C'est ça, le terrain qui nous intéresse : des tours kilométriques remplies d'être humains génétiquement modifiés plus ou moins aisés plantées au dessus de sous-terrains peuplés du rebut de la société, lequel n'est pas forcément ravi de son sort. Classique, le coup des tours et des sous-terrains ? Peut-être, mais renouvelé avec brio. La narratrice est énigmatique, et je me garderais bien de trop en dire sur elle. Disons qu'elle est âgée. Très âgée. Et elle nous raconte sa vie, longue et violente, cruelle et sanglante, ainsi que celle de compagnons rencontrés en chemin, non moins difficile. « Viens en au fait ! » me direz-vous, à raison. Si j'ai kiffé ? Oh oui. Si j'ai rêvé ? Cauchemardé plutôt. Frissonné même, certaines scènes sont de l'ordre de l'atrocité pure et simple, de part la manière dont elles sont racontées (une espèce de froid détachement que permet le recul pris par la narratrice) mais aussi par leur plausibilité. Catherine Dufour a construit un univers cohérent et moche peuplé de gens occupés à se débattre avec leur vie (ou ce qu'il en reste). Les personnages du roman sont atypiques : la narratrice bien sûr (enfant, ado, âgée...), à la fois attachante et implacable, mais aussi un enthomologiste bien né (c'est-à-dire occidental) mêlé à une sale histoire de paludisme, une jeune musicienne chinoise qui voit son monde s'écrouler, une guérisseuse malsaine, un leader légendaire, des organisations tentaculaires, des moustiques... Ce n'est pas un roman dans lequel on entre facilement, pour se détendre un coup entre deux examens. Appréhender cet univers ne se fait pas dès la première page, il faut du temps pour digérer à la fois les inventions liées à l'univers futuriste mais aussi les références à la culture orientale (on n'est pas en Mandchourie pour rien). Quel bonheur quand un écrivain de science-fiction est aussi un écrivain ! Madame Dufour a beaucoup lu, et ça se voit. Elle manie les genres avec dextérité, et varie les styles en même temps que les genres, dans un roman très habilement construit. L'intrigue est entre autres une variation subtile sur le thème du vampirisme ; elle mêle plusieurs époques et plusieurs personnages, dont chacun devient central à un moment ou un autre du récit. La première partie installe le plan d'anticipation du roman et raconte l'enfance brisée de la narratrice, la deuxième donne dans le complot géopolitique à base d'essaims de moustiques tueurs sur fond d'amitié virile, la troisième nous envoie dans les sous-sols d'une humanité décimée par un virus retors, et la dernière démêle tout ça avec une cohérence sans faille. Et tout le long, quelle écriture, quelle promptitude à balancer des petites sentences à grande valeur aphoristique ! Et quelle virtuosité narrative. Des personnages vivants (enfin presque), une vision du futur plausible et fantaisiste à la fois, une tendance à ne pas dire que des âneries, une intrigue prenante et qui ne déçoit pas, voilà à quoi vous allez goûter...

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