Edmund white : Rimbaud, la double vie d'un rebelle.

À seize ans, en 1956, j’ai découvert Rimbaud. J’étais alors pensionnaire à Cranbrook, une école de garçons non loin de Detroit, où l’extinction des feux avait lieu à vingt-deux heures. Mais je me glissais hors de ma chambre et gagnais les toilettes, qu’un plafonnier éclairait chichement, pour m’y asseoir si longtemps que mes jambes finissaient par s’engourdir. Je lisais et relisais les poèmes de Rimbaud. Porté par le délire sensuel du Bateau ivre, j’appareillais en rêve pour des contrées exotiques. Jeune gay mal dans ma peau, suffoqué par l’ennui et la frustration sexuelle, paralysé par la haine de soi, je brûlais de m’enfuir à New York pour m’y imposer en tant qu’écrivain. Je m’identifiais totalement aux désirs de Rimbaud d’être libre, d’être publié, d’avoir une vie sexuelle et de gagner Paris. Il ne me manquait que son courage. Et son génie. Je voulais moi aussi entrer en contact avec des auteurs plus âgés pour qu’ils me tendent une main bienveillante à la façon dont Verlaine avait accueilli Rimbaud. Je voulais moi aussi échapper à l’ennui de mon univers petit-bourgeois pour me livrer à la bohème. Je voulais moi aussi renoncer à mes années d’apprentissage et m’élancer vers les sommets artistiques en prodige. Je voulais moi aussi inciter les hommes à quitter leur épouse pour filer avec moi. »
Comme Kerouac, Rimbaud exerce une magie particulière sur ceux qui le lisent avant l'âge de 20 ans. C'est le cas d'Edmund White, qui commence ce bref récit de la vie de Rimbaud par une tranche qui lui est propre : les jours qu'il a passés en tant que écolier gay malheureux dans la banlieue de Détroit, lisant Le Bateau ivre sur les toilettes à minuit et « s'identifiant complètement aux désirs de Rimbaud d'être libre, d'être publié, d'être sexuel, d'aller à Paris ».Adolescent timide du Midwest, séduit par les livres, White ne pouvait que rêver. On connaissait déjà Edmund White comme biographe grâce à son Jean Genet monumental (Gallimard 1993, National Book Critics Circle Award), mais c’est un court portrait de Rimbaud qui nous est offert ici sous la plume intimiste du célèbre romancier et essayiste gay, qui a longtemps vécu à Paris. Si White s’attache tout particulièrement à la relation de Rimbaud et Verlaine, il explore aussi au fil de son récit l’écriture rimbaldienne avec son regard de traducteur (dans l’édition originale il a en effet traduit lui-même les œuvres citées) et une sensibilité qui éclaire l’univers du poète qui « a inventé l’obscurité en poésie ». Rien de tel qu'une biographie de Rimbaud pour dissiper les illusions romantiques sur le poète. Le livre de White sur Rimbaud n'en est pas vraiment une : c' est une fusion de mémoires personnelles , de biographie et de critique littéraire (Le récit de White bénéficie de l’auto-identification honnête de l’auteur avec son sujet). Avec son sens du détail de romancier White propose un récit convaincant sur la liaison tumultueuse de deux ans De Rimbaud avec le poète plus âgé Paul Verlaine, notant tout, de l'insistance de Rimbaud à jouer horriblement du piano pour agacer Verlaine, au "jeu de se se poignarder tour à tour avec des couteaux enveloppés dans des serviettes. Mais le livre propose aussi les souvenirs d'Edmund White sur ses propres aspirations de jeunesse, lorsqu'il lisait Rimbaud et rêvait de devenir une célébrité littéraire et d'être emmené par un homme tutélaire plus âgé… j'aimerai insister sur ce que White pense de la sexualité de Verlaine et de ce qui en a été dit auparavant dans les canons biographiques : White, écrivain gay influent et co-auteur de "The Joy of Gay Sex", note avec un intérêt particulier la précocité sexuelle du jeune poète, mais il insiste sur le fait que l'homosexualité de Rimbaud n'était pas une source d' inquiétude ou d' insatisfaction. Il est en profond désaccord désaccord avec "Enid Starkie", autrice de la biographie de 1936 qui a longtemps été considérée comme l'ouvrage anglophone faisant autorité sur Rimbaud. Starkie extrapole à partir d'un poème intitulé « Le cœur torturé » que Rimbaud a été violé par des communards lors d'une de ses premières évasions à Paris ; elle insiste également sur le fait que Rimbaud a dû apprécier l'expérience, puisqu'il a eu plus tard une liaison homosexuelle avec Verlaine. White répond dans son livre que c'est du freudisme de second ordre que d'attribuer des traits de personnalité à un traumatisme enfoui, et que les preuves historiques d'une telle agression transformatrice sont inexistantes ; il théorise que c'est une tentative homophobe de rationaliser la romance de Rimbaud avec Verlaine qui a conduit Starkie à concocter ce récit de viol. Quand au couple Verlaine, Rimbaud, White décrit la sexualité de Rimbaud comme fluide mais agressive, et montre qu’il a toujours dominé Verlaine, plus âgé mais moins sûr e lui. Rimbaud apparaît ici comme une créature vile et irrécupérable.Le personnage de Verlaine fascine par l’écart entre sa force de poète et sa faiblesse d’homme. Pour White, une saison en enfer semble présager la révolution industrielle et les changements sociétaux massifs qu'elle annoncerait, apparaissant même étrangement en contact avec les développements explosifs du XXe siècle.
"Ce qui est extraordinaire" c'est que dans sa brève carrière d'écrivain, Rimbaud a couvert toute l'histoire de la poésie depuis les vers latins jusqu'aux romantiques, aux parnassiens et aux symbolistes jusqu'aux surréalistes, avant même que le surréalisme n'existe."
Malgré tout, cela aboutit à un récit sensible, succinct et largement non partisan, riche en histoire et particulièrement intéressant (paraît-il) pour les non-francophones car White propose ses propres traductions de toutes les lignes qu'il cite. Vers la fin, White cite le Rimbaud de "Graham Robb" (2000) comme étant la meilleure biographie en anglais du poète, et explique que son propre livre ne conviendra pas à ceux qui veulent lire une pure biographie. Mais pour les novices de Rimbaud, ou pour tous ceux qui ont encore le mal de mer et l'enivrement de leur premier voyage dans le bateau ivre, cette mini-biographie commenté de poche constitue un excellent moyen d'entrer dans la vie de l'une des grandes énigmes de la littérature. Un essai captivant. Un essai captivant.

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