Javier Marias : dans le dos noir du temps


Dans la première phrase de ce livre, j'ai dit que je croyais n'avoir jamais encore - oui, jamais encore, l'incorrection est délibérée - confondu la fiction et la réalité, ce qui ne signifie pas que parfois il ne me soit pas difficile, rétrospectivement, de pouvoir éviter cette confusion. Je veux penser que ce n'est pas vraiment ma faute.Rarement un auteur ne nous aura livré un texte aussi étonnant, curieux voyage à bord d'un bateau ivre tanguant entre la réalité vraie et la réalité rêvée, la vie de personnages existants et de personnages de fiction. Javier Marias, inspectant les entrailles de son oeuvre avec toute la dextérité d'un chirurgien révélant les secrets d'une anatomie, nous dévoile sans fausse pudeur le revers de la médaille : le livre vécu par son auteur. Le roman comme imagination pure ou adaptation d'une vie vécue ? C'est vrai que, rétrospectivement, le lecteur aura du mal à éviter laconfusion entre la réalité et la fiction, entre l'auteur, le narrateur et d'autres identités fictives. Tout comme les gens de chair et de sang que croisa dans sa vie Javier Marias et qui prirent avec un empressement réclamant l'immortalité, sans même attendre l'assentiment de l'auteur, l'enveloppe littéraire quecelui-ci avait créée dans son oeuvre. Bientôt emporté par la prose parfaite d'un Javier Marias sûr de son art, ce récit d'un auteur confronté aux conséquences de la publication devient lui-même un roman, une mise en abyme aux échos lointains qui nous rappellent, avec un naturel déroutant, les galets thématiques posés sur son chemin littéraire : la fatalité, le hasard, l'incroyable courbure du temps que tracent les destins.--Hector Chavez

Je suis assez inconditionnel lorsqu'il s'agit de Javier Marías, ce livre-ci ne change pas la donne.
Le livre qu'avait commis cet auteur sous le titre 'Le Roman d'Oxford' utilisait plusieurs éléments proches de l'auteur, si bien que certains y ont vu, et je l'ai cru également je dois dire puisque l'auteur utilise un narrateur espagnol qui a enseigné à Oxford tout comme lui, un récit largement autobiographique jusqu'à l'aventure sentimentale que vit le protagoniste du roman.
Javier Marías s'en est ému et profite de l'occasion pour nous offrit de multiples digressions et variations dont lui seul a le secret. le lecteur ne sait plus très bien à un moment donné, où l'auteur l'emmène, mais qu'importe, le plaisir réside, pour moi, ici comme dans les autres oeuvre, à lire cette prose limpide et subtile à la fois.
Un roman un peu bizarre que j'ai dévoré, où on oscille entre fiction et réalité, sans frontières bien nettes..., entre passé, présent, futur(?), dans le dos noir du temps, selon l'expression empruntée à Shakespeare.


Extrait 1 : "Tout est si lié au hasard et si ridicule qu'on ne comprend pas comment nous pouvons doter de transcendance notre naissance, notre existence ou notre mort, déterminées par des combinaisons erratiques aussi capricieuses et imprévisibles que la voie du temps quand il n'est pas encore passé et ne s'est pas perdu, quand il n'est pas encore ambigu et qu'il n'est même pas encore du temps, cette voix que nous connaissons et écoutons tous comme un murmure à mesure que nous avançons, ou du moins le croyons-nous (...)."

Extrait 2 : "Ce n'est pas seulement que tout peut arriver de nouveau, c'est que je ne sais pas si, en réalité, rien n'est passé ni ne s'est perdu, j'ai parfois la sensation que le coeur de tous les hier bat sous la terre comme s'ils refusaient de disparaître tout à fait, l'énorme cumul des choses connues et inconnues, de ce qui a été raconté et de ce qui n'a jamais été dit, de ce qui a été consigné et de ce qui n'a jamais été su ou n'a pas eu de témoins ou a été caché, formidable masse de paroles et d'événements, de passions et de crimes et d'injustices, de craintes et de rires et d'aspirations et d'ardeurs, et surtout de pensées, qui sont ce qui se transmet le plus d'un intrus et d'un usurpateur à l'autre, et entre les générations usurpatrices et intruses, ce qui survit le plus longtemps et ne change presque pas et ne finit jamais, comme une ébullition permanente sous le sol mince où sont enterrés ou éparpillés en nombre infini les hommes et les femmes qui sont passés par là la plupart du temps, en se consacrant aux pensées passives ou oisives et les plus communes, mais on trouve également parmi ces dernières les plus énergiques, celles qui donnent un peu d'élan à la paresseuse et faible roue du monde, les désirs et les machinations, les attentes et les rancoeurs, les croyances et les chimères, la pitié et les secrets et les humiliations et les querelles, les vengeances ourdies et les amours repoussées qui arrivent trop tard au rendez-vous et celles qui n'ont pas été flétries, chacune d'entre elles accompagnée de ses pensées individuelles, senties comme uniques par chaque sujet pensant réitératif et nouveau venu."

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