Dan Simmons : Drood



9 juin 1865. Charles Dickens, alors au faîte de sa gloire, regagne secrètement Londres en train, accompagné de sa maîtresse. Soudain, à Staplehurst, sur un pont, l'express déraille. Seul le wagon où a pris place "l'écrivain le plus célèbre du monde" échappe par miracle à la catastrophe. Au fond du gouffre, alors que Dickens tente de porter secours aux survivants, sa route croise celle d'un personnage à l'allure spectrale qui va désormais l'obséder : Drood.
De retour à Londres, Dickens confie le secret de son étrange rencontre à Wilkie Collins, écrivain lui aussi. Quels liens unissent désormais l'inquiétant Drood et l'Inimitable, comme le surnomme avec admiration et ironie Collins ? C'est ce que ce dernier cherche à découvrir en se lançant à la poursuite de Dickens. Mais peut-on raisonnablement accorder crédit au récit de Collins, opiomane en proie à la paranoïa et aux hallucinations ?
Inspiré par Le Mystère d'Edwin Drood, oeuvre mythique que Dickens laissa inachevée à sa mort - cinq ans jour pour jour après son accident de chemin de fer -, Drood nous entraîne, de cryptes en catacombes, dans le Londres interlope de Jack l'Eventreur et des sciences occultes.
Roman biographique, historique, victorien, roman populaire, policier, psychologique, gothique, fantastique ... Dan Simmons se joue des genres et des codes pour nous offrir ce livre envoûtant, qui est également une formidable réflexion sur le processus de création littéraire.

Voici un roman qui ne m'a pas laissé indifférent, à presque tous les niveaux, me faisant passer du ciel aux enfers, en matière de plaisir de lecture.
Mais d'abord un bref mot sur l'écrivain, Dan SIMMONS.
Auteur protéiforme, capable de verser dans l'horreur, le policier, la S-F, traduit dans plus de 27 pays, Simmons est surtout connu des amateurs de S-F pour sa saga de Space-Opéra Les Chants d'Hypérion.
Ici c'est à un roman aux forts accents historique et fantastique que nous invite SIMMONS.

Pourquoi roman historique, parce que l'action de notre roman se situe en plein siècle victorien, époque de l'apogée de l'Empire britannique, et ce dans tous les domaines : militaire, colonial, maritime, économique, scientifique et littéraire.
Plus précisément l'histoire se déroule entre les années 1865 et 1870, années importantes pour les deux principaux intervenants du roman, deux personnages célèbres : Wilkie Collins, et un illustre parmi les illustres puisqu'il s'agit ni plus ni moins de Charles Dickens.
Un choix plutôt judicieux de la part de l'auteur puisque, du fait de leur existence avérée, ils donnent une sorte de caution réaliste à la fiction qu'il écrit.
Ces deux grands auteurs de leur époque, amis, contributeurs et amateurs de cercles et clubs littéraires, auteurs d'essais, de pièces de théâtres (acteurs parfois); bref ces deux parfaits Gentlemen de la bourgeoisie cultivée victorienne, vont être confrontés au troisième larron de ce roman, l'énigmatique, l'insaisissable, et méphitique Drood (Pour l'anecdote Drood est le nom du dernier roman, non achevé de Dickens : Le Mystère d'Edwind Drood )
Ce dernier est l'élément déclencheur de tout le fantastique de l'œuvre, celui qui fait basculer nos deux célèbres auteurs dans des abimes de perplexités, de questionnements et d'horreur.
En juin 1865 Dickens, qui se déplaçait souvent en train pour donner des représentations théâtrales de ses propres pièces, a un accident de train. Il fit réellement partie des rares survivants de cette catastrophe qui emporta la quasi-totalité des wagons de première classe dans lesquels il voyageait avec sa suite.
Sur le lieu de l'accident il rencontre un homme à l'allure particulière : Drood, sorte de Nosferatu sans nez, aux dents limées en pointes, aux yeux sans paupières..
Voici un portrait peu amène d'une « créature » qui deviendra l'arlésienne de l'histoire, toujours insaisissable, aux desseins obscurs et ésotériques. Les deux personnages sont dès lors liés dans une relation d'interdépendance et de réciprocité qui ne s'expliquera complètement que dans les derniers chapitres de ce long livre.
L'histoire en elle-même est racontée par Williams Wilkie Collins. Auteur populaire de son époque, ayant eu, comme beaucoup de ses contemporains, une très forte dépendance au laudanum puis à la morphine afin de gérer les douleurs de sa goutte rhumatismale. Il en résulta une paranoïa qui lui donnait l'impression d'être observé, suivi, puis même de converser avec son double fantomatique, un Doppleganger, l'Autre Wilkie. Élément qui aura une importance cruciale dans l'histoire, ses rapports avec Dickens et Drood.
Collins est donc le narrateur de l'histoire, il s'adresse au lecteur, le prenant parfois à témoin, comme si il tenait dans ces mains une sorte de manuscrit sorti des ombres et du temps, offrant de nous livrer enfin ce qui serait vraiment arrivé a Charles Dickens, sur ces cinq dernières années de vie fatidique, quel rôle lui-même joua dans cette tragédie, et quelles furent leur relations complexes.

Les quelques 1200 pages (en poche) de l'ouvrage sont une véritable montagne d'informations sur l'époque Victorienne. C'est la première grande force de cet ouvrage, réussir à reconstituer avec véracité cette époque.
Rien n'est oublié, de la façon de vivre et de penser des classes aisées (ces fameux gentlemen à l'anglaise, véritable statut social), leur lieux de rencontres et de villégiature, les demeures où ils vivaient. Mais aussi à l'autre bout de l'échelle sociale, la misère extrême des grandes villes, les conditions de vie épouvantables, les atroces nuisances sanitaires qu'entrainaient la concentration d'autant d'êtres humains et d'animaux dans des lieux exigus sans plan de gestion des déchets.
C'est une période de l'Histoire qui est passé au tamis de la plume de Simmons, il a d'ailleurs dû faire là un long et fastidieux travail de recherche pour nous donner une image si vivante et réaliste.
L'autre Grande force de ce livre c'est cette capacité à préserver presque jusqu'à la fin ce seuil qui existe entre ces deux mondes que sont celui de la réalité et celui de la fiction, distillant par l'entremise du récit de Collins des bribes d'éléments fantastiques au milieu d'une foule de détails crédibles (et pour partie surement vrais) des vies de tous les personnages réels impliqués dans ce récit.

Mais, car il y a un mais, la lecture de ce livre n'est pas toujours aussi aisée et fluide que mes propos le laissent à penser. Beaucoup de disgressions. Et c'est quand même un peu trop long.



Mais pour la peinture de cette époque, pour le plaisir de suivre Charles Dickens et Wilkie Collins dans leur lente et longue descente aux enfers, pour l'affreux Drood, ce livre vaut vraiment qu'on lui accorde sa chance.

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