Jean Lorrain : M. De Phocas.





Héros du roman, le duc Jean de Fréneuse, héritier d’une lignée d’aristocrates finissante, éthéromane et pervers blasé, se présente au narrateur sous le nom de M. de Phocas (un nom emprunté à un empereur byzantin) pour lui confier son journal intime, dans lequel il a consigné les dégoûts et les vices que lui inspire son époque.
Ce sont ces pages que le narrateur propose et qui constituent la quasi totalité du roman : « je les transcris telles quelles, dans le désordre incohérent des dates, mais en en supprimant, néanmoins, quelques unes d’une écriture trop hardie pour pouvoir être imprimées »1.
On y découvre l’obsession du duc de Fréneuse pour une « certaine transparence glauque », obsession autour de laquelle le texte se construit. Il y raconte sa vie d'esthète éthéromane, qui « souffre depuis des années d'une chose bleue et verte ». Le duc traque cette lueur verte - d'abord décelée dans les yeux de l’Antinoüs du Louvre - dans l’éclat des pierres précieuses, dans les yeux des portraits, des statues, des masques de cire et des individus. Cette quête, à travers laquelle les vices, les névroses et les visions de Fréneuse sont révélées, l’amène à rencontrer Claudius Ethal, qui lui propose de le guérir de son obsession dévorante. Ce personnage maléfique le poussera au contraire jusqu’aux derniers degrés de la perversion, avant que Fréneuse ne se délivre de son emprise en le tuant.
Sur les conseils de sir Thomas Welcôme, le duc abandonne son passé à son journal et — renaissant sous un nouveau nom s’enfuit pour l’Égypte afin d'y entamer une vie nouvelle.
Cependant l’intrigue reste secondaire : y dominent l’imaginaire, l’onirisme et les fantasmes du duc de Fréneuse, digne représentant d’un monde finissant2. La suite du manuscrit, pourtant promise au narrateur dans le premier chapitre n'arrivera jamais, et le roman prend fin sur l'annonce de ce voyage.
Il s'agit de l'une des œuvres majeures de la littérature dite « décadente ». Monsieur de Phocas est à rattacher à deux autres œuvres de Lorrain, mettant en scène elles aussi la décrépitude morale d’aristocrates « fin de race » : Monsieur de Bougrelon, et Les Noronsoff, qui semblent constituer des projections paroxystiques3 de l’auteur.
Dans le roman, Jean Lorrain mélange habilement des aspects de sa propre vie, c'est un journaliste mondain et dandy, amateur de plaisirs de toutes sortes, femmes et hommes, drogues et rencontres scabreuses dans les bas-fonds des grandes villes, avec des ambiances et des idées qu'on retrouve dans des livres écrits antérieurement par d'autres écrivains, le personnage de Des Esseintes de Huysmans (le roman, publié quinze ans après A rebours de Huysmans est marqué par son influence. En témoigne la figure de Fréneuse, aristocrate décadent, dandy, dont la quête esthétique l’amène à se couper du monde. Son admiration pour Gustave Moreau le rapproche de des Esseintes « Gustave Moreau, l’âme de peintre et de penseur qui m’a toujours le plus troublé ! »1, de même que la présence récurrente de la figure de Salomé : « les Salomés dansant devant Hérode, leurs chevilles cerclées de sardoines, et le geste hiératique de leur bras droit tendu »1 ) , celui de Dorian Gray d'Oscar Wilde etc.
On y croise des célébrités de cette époque, Liane de Pougy (auteur de Idylle Saphique), Rachilde qui a écrit Monsieur Vénus, le comte Robert de Montesquiou etc. L'esthétisme et les arts sont au centre des préoccupations du comte de Fréneuse devenu obsédé par les yeux verts. Des yeux d'un certain vert bien particulier qu'il va rechercher partout, que ce soit chez les prostituées des quartiers glauques des villes ou dans les oeuvres d'art des musées. C'est là qu'intervient Claudius Ethal, un personnage étrange, peut-être diabolique, qui se propose de l'aider dans sa quête, le poussant à franchir des limites qui doivent le guérir de son obsession au risque d'y laisser son âme.
J'apprécie beaucoup les livres de J.K. Huysmans, c'est donc avec plaisir que je découvre – enfin – Jean Lorrain qui écrit dans la même veine. le style, les références culturelles évoquées, les clins d'yeux (certains parlent de plagiat) à des œuvres d'autres écrivains de qualité font de ce livre une petite merveille d'où se dégage une capiteuse odeur stupre,comme une goutte d’absinthe réfléchie dans un diamant.

La langue de Lorrain dans Monsieur de Phocas est soutenue et les constructions stylistiques sont celles d'un langage très orné :ce n'est pas facile à lire. Mais le jeu en vaut la chandelle.

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