Joyce Carol Oates : j'ai réussi à rester en vie



Le matin du 11 février 2008, Raymond Smith, le mari de Joyce Carol Oates, s’est réveillé avec un mauvais rhume. Il respire mal et son épouse décide de l’emmener aux urgences où l’on diagnostique une pneumonie sans gravité. Pour plus de sûreté, on le garde en observation. Une semaine plus tard, au moment même où il devait rentrer chez lui, Raymond meurt d’une violente et soudaine infection nosocomiale. Sans avertissement ni préparation d’aucune sorte, Joyce est soudain confrontée à la terrible réalité du veuvage. Au vide. À l’absence sans merci. J’ai réussi à rester en vie est la chronique du combat d’une femme pour tenter de remonter de ce puits sans fond. De poursuivre une existence amputée du partenariat qui l’a soutenue et définie pendant près d’un demi-siècle. En proie à l’angoisse de la perte, à la désorientation de la survivante cernée par un cauchemar de démarches administratives, et les absurdités pathétiques du commerce du deuil, Oates décrit l’innommable expérience du chagrin, dont elle ne peut s’extraire qu’à grand peine, de temps à autre, en se tournant vers ses amis. Avec sa lucidité coutumière, parfois sous-tendue d’un humour noir irrésistible (quand, par exemple, elle se lamente sur l’absurdité des luxueux paniers gargantuesques de saucissons et de pop corn au chocolat déposés devant sa porte en manière de condoléances), elle nous offre à travers ce livre, qui ne ressemble à rien de ce qu’elle a écrit jusqu’ici, non seulement une émouvante histoire d’amour mais aussi le portrait d’une Joyce Carol Smith inconnue et formidablement attachante.

Comment peux -ton continuer à vivre après la mort de son conjoint bien aimé? C'est la question à laquelle Joyce Carol Oates semble vouloir répondre avec cette œuvre : le processus de réajustement brutal qu'elle doit entreprendre pour répondre à cette nouvelle réalité, et la manière dont la vie exige de continuer à être vécue (dans des termes primaires, instinctifs). Au-delà du désir romantique « de ne pas se survivre » qui règne dans un couple comme le sien.

Et le récit de ces jours, mois, années, confus et douloureux est effectué avec un détail presque inhumain : Mémoires d'une veuve n'est pas une brève et poignante réflexion sur la mort, comme "Une peine en observation"" de "C. S. Lewis" ; il y a près de 440 pages de reconstitution détaillée de chaque instant, de chaque étape, de chaque sensation. Les nuits blanches à l'hôpital, le dernier message du mari sur le répondeur, la première réaction, la culpabilité, le traumatisme, le désespoir, les conversations (en personne et par mail) avec des amis, collègues, inconnus, la paperasserie après la mort mais aussi les souvenirs des jours heureux… Tout, absolument tout a sa place dans cette quête qui ne semble vouloir laisser aucune échappatoire à l'oubli ; et c'est peut-être sa fonction, en fait : à travers une mémoire implacable, arriver à connaître vraiment son mari votre mari. (Parlant des mémoires d'un autre écrivain, également veuve, Oates dit qu'ils « combinent le clinique avec la poétique » ; dans ses propres mémoires, le premier élément prévaut clairement.

Peut-être précisément à cause de cette saturation de la mémoire, l'ouvrage peut paraître quelque peu excessif : après une centaine de premières pages qui laissent le lecteur, comme l'auteur (pas de la même façon bien sûr) en état de choc, l'histoire entre dans une nouvelle phase lente, plus répétitive, plus "bureaucratique".

Mais ce qui comme moi vivent en ce moment le deuil de leur conjoint ne trouveront pas ça du tout répétitif. Car c'et exactement comme ça que fonctionne l'esprit du nouveau veuf dans une sorte de répétition de la souffrance à chaque moment renouvelé; La destinataire de ces pages est souvent elles mêmes et en cela elle est le reflet de ce que l'on vit après le deuil. Pas de concession romantique ici.

Il y a quand même un peu d'humour ironique et des réflexions presque toujours acérées qui clôturent de nombreux chapitres, consacrés au processus de deuil et à la confrontation avec la mort, que l'auteur dépouille de tout halo mystique.

Après les 100 premières pages qui racontent les heures précédent et suivant la mort de son mari Oates nous raconte le lent processus de réajustement, au milieu d'un sentiment de vide existentiel, de la veuve à sa vie de veuve. Cela vaut la peine de lire ces confessions déchirantes et précieuses, pleines d'amour, de douleur et d'intelligence.




Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Lonsam Studio photo gay japon

Bret Easton Ellis : Les éclats 2023.

Jean Desbordes