Poppy. z. Brite : Alcool. 2004.
I : Poppy Z. Brite.
Je m’étais mis à suivre Poppy Z. Brite à ces débuts à l’époque de ces romans et nouvelles d’horreur et de fantastique (On y croise des vampires rock’n’roll homosexuels, décadents et incontrôlables, des serial killers inventifs et sadiques, des jeunes hommes paumés, des créatures fantastiques diverses, des Beatles homo…) inspirés en partie par le mouvement gothique et le "splatterpunk", terme pour geek signifiant que des écrivains complètement tarés mettent en scène des gens encore plus tarés, violents, nihilistes et amateurs d’actes de barbarie sans la moindre justification. Ses marques de fabrique étaient l'utilisation d'hommes gays comme personnages principaux, la description crue d'actes sexuels ainsi que le traitement froid et distant d'actes choquants : Âmes perdues (1992), Sang d'Encre (1993) et Le Corps exquis (1996), qui m’a particulièrement marqué.
Il faudra que je fasse des publications sur ces livres pour le groupe…
Née en 1967 à la Nouvelle-Orléans, Poppy Z. Brite décide à 18 ans de vivre de sa plume. Inspirée par Baudelaire et Stephen King, elle est révélée par ses premières nouvelles au charme vénéneux, bénéficiant aussitôt du soutien inconditionnel d'auteurs tels que Dan Simmons, Neil Gaiman ou Dennis Cooper. Ses écrits scandalisent, mais elle est distinguée en 1994 par le British Fantasy Award et fait figure de chef de file d'une avant-garde d'écrivains entre underground, terreur et poésie du corps. En France, elle publie « Ames perdues » et « Sang d'encre », « Contes de la fée verte », la biographie « Courtney Love » et le sulfureux et extraordinaire « Corps exquis ».
Après avoir longtemps affirmé s'identifier intérieurement plus comme un homme gay que comme une femme Il se présente finalement ainsi :
« Je m’identifie comme de genre masculin, et d’orientation homosexuelle. On pourrait me mettre dans la catégorie « transsexuel sans opération nécessaire », puisque je n’ai jamais songé à changer de sexe, ni même à ressembler physiquement à un homme. Je me sens bien comme je suis en ce moment, et le fait d’être en couple avec quelqu’un qui comprend très bien ça y est évidemment pour beaucoup. En général, je n’essaie pas vraiment d’aller parler à ceux qui ne saisissent pas ce que je suis et ce que je ressens. Si leur conception du genre et de la sexualité sont trop étroites pour me prendre en compte, c’est que je peux sans problème me passer de leur aval ».
À la fin des années 1990 et au début des années 2000, il s'est détaché de la fiction d'horreur tout en continuant à écrire sur des personnages gays (mais plus réalistes).
II : La série « Liquor ».
J’avoue qu’à l’époque de sa sortie je n’avais pas eu envie de me lancer dans l’histoire de deux personnages qui ouvrent un restaurant : Moins intéressé par cette évolution thématique, je n’avais plus suivi sa carrière et je m’aperçois que j’avais tort…
En effet, ce n’est pas pour rien que la trilogie de romans « culinaires » (liquor) a été acclamée par la critique : Alcool(2004), La belle rouge (2005) et « Soul Kitchen » (2006) sont des comédies d’humour noir prenant place dans le milieu des restaurants de La Nouvelle-Orléans. (Il faut dire que Poppy Z. Brite a vécu avec lechef cuisinier Chris DeBarr jusqu'en 2011.)
Beaucoup plus soft et loin de l’horreur que ses autres romans et nouvelles précédents, la trilogie s’apparente plus à un genre de polar noir teinté d’humour. « Et même si l’univers de la littérature culinaire et celui de l’horreur sont un peu comme le jour et la nuit, on sent toujours la touche de Brite : son sens du récit inimitable, sa ville natale de La Nouvelle-Orléans, l’amour entre hommes. Et là où ses premiers romans baignaient dans des fluides corporels visqueux (on y avait toujours l’impression que quelque chose dégoulinait, sang, foutre, crachats ou larmes), ses derniers livres n’en sont pas moins remplis de descriptions de matières gluantes, à la différence près qu’il s’agit maintenant de choses que vous pourriez manger sans attraper une MST. »
La série compte aussi d’autres histoires, dont plusieurs se trouvent dans le recueil « Petite cuisine du diable », ainsi que dans la novella D*U*C*K, (chronique des événements de la vie des membres de la famille Stubbs au sens large, un clan catholique profondément enraciné dans la culture traditionnelle de La Nouvelle-Orléans). Mais également dans une préquelle, le roman court « The Value of X » (2002) qui décrit le début de carrière des protagonistes de la série --Gary "G-Man" Stubbs and John "Rickey".
Dans cette première publication je vais vous parler du premier de la trilogie : « Alcool ». J’en ferai d’autres pour les volumes suivants.
III : Alcool
Ricky et G-Man, sont un couple de jeunes hommes travaillant dans les cuisines de restaurants de la Nouvelle-Orléans depuis leur plus jeune âge. Après avoir essuyés de nombreuses galères, les voilà de nouveaux virés de leur boulot de cuisiniers. Décidés à se bourrer la gueule dans un parc, Rickey a soudain une illumination : ouvrir un restaurant bien à eux, avec un concept original : tous les plats, sans aucune exception, seront cuisinés avec amour et avec…avec une boisson alcoolisée. Mais n'ayant pas un sou en poche, leur rêve ne risque pas de se réaliser de sitôt. C'est sans compter l'arrivée de Lenny, propriétaire de plusieurs restaurants plutôt chics, qui réussira à convaincre notre duo de se lancer dans l'aventure en leur proposant son soutien financier sans que l’on ne sache trop en échange de quoi. S'ensuit une recherche frénétique et épicée, du lieu, de la salle, de sa rénovation, des tests des recettes puis enfin l’ouverture du restaurant. Et puis on fait peu à peu connaissance avec « la mafia « de la restauration ! « Ça sent les épices, le curry et la soul…
L'auteur ajoute à son roman une intrigue liée à un meurtre qui a eu lieu 20 ans auparavant dans le local que Rickey et G-man vont reprendre à leur compte.
Chez « Alcool » on trouve au menu, des plats typiques : soupe de tortue, gombo, sandwich muffuletta, banane Foster, crevette, Tasso Henican, fraises de Louisiane, le tout arrosé de tequila, mojito, vodka, advocaat, rhum, gin, daïquiri…Et Poppy. Z. Brite réussit à nous faire vivre de l'intérieur le fameux "coup de feu" lorsque la salle est pleine et que les commandes se succèdent à un rythme effréné !
Le succès de l’entreprise suscite bien des jalousies et le chemin vers l'ouverture de leur restaurant va finir en parcours du combattant semé d'embûches.
Dans le couple, professionnel, comme privé, que forment nos deux lascars, on ressent surtout l'alchimie, l'adéquation (quasi) parfaite, la complémentarité. Ils ont 27 ans, se sont connus dès l’enfance et ce sont mis en couple à 18 ans puis ne ce sont plus quitté, étant l’un pour l ’autre le premier et, jusque-là, unique grand amour. Leur relation est évoquée de façon si subtile qu'on ne la saisit pas immédiatement. On se prend d'affection quasi immédiatement pour Rickey et G-man. Poppy Z. Brite réussit à éviter les clichés du couple homo et en fait un couple ordinaire particulièrement crédible. Leur amour est simplement là, il n'est ni expliqué ni mis en avant, ni justifié, mais le lecteur le ressent profondément. Leur couple est le véritable moteur du livre, choix de narration qui donne fraîcheur et spontanéité à l’ensemble.
De plus, l’histoire brasse de nombreux personnages secondaires, légèrement caricaturaux (ce qui n’est pas gênant puisqu’ on est dans un univers humoristique) mais bien intégrés dans le contexte social mouvementé de la Nouvelle-Orléans.
Ce premier volume est jubilatoire à souhait, et c’est avec un grand intérêt que l’on suit les pérégrinations de ces jeunes amoureux à travers les bas-fonds, les arrière salles des grands restaurants, les cuisines, les arrière-cours et les infâmes bouges d'une ville amoureuse de l'alcool.
La « capitale culturelle » de la Louisiane, cette « La Nouvelle-Orléans », poisseuse et grasse, est un personnage à part entière. Elle est avec la culture cajun le socle de cette histoire qui ne pourrait être transposée nulle part au monde, le roman étant en quelque sorte un guide culturel vivant qui nous entraîne loin des clichés touristiques.
Le tout est mené tambour battant, avec une bonne dose de satire, d’humour et de suspens (avec une subite accélération qui ne laisse pas de marbre, lorsque G-Man se précipite au secours de Rickey en danger) et dans un ton et une atmosphère un peu décalée qui en font un roman aussi addictif qu’un bon polar.
Poppy Z Brite sait mélanger habilement les aventures, les éléments comiques, les situations cocasses ou plus tendues qui font d’alcool une proposition littéraire aussi digeste que réussie, une véritable gourmandise qui nous fait voyager à l'autre bout de l'Atlantique et met nos papilles en éveil.
On est bien content de savoir qu’Alcool comporte deux suites… parce qu’après avoir partagé les aventures des deux héros (et avoir salivé), on finit par les considérer comme des amis plus vrais que nature, hauts en couleurs, si vifs et inventifs, qu’on a envie de continuer à fréquenter.
Si ça marche si bien c’et que l’écriture e Poppy Z Brite est ciselée et enchanteresse ; elle sait y faire et s’avère aussi doué pour donner qu'une recette de cuisine qu’elle l’était pour décrire les atrocités commises ses serial killers…
Avec son histoire à la fois rigolote et étonnante qui à priori ne semblait rien promettre d'exceptionnel elle propose un roman qui redonne le sourire, sans pour autant nous gaver de stéréotype et de cliché.
Un livre sur l'alcool, la Nouvelle-Orléans, l'amitié et l'amour : On sent assez bien à quel point l'auteur connaît et aime la Nouvelle-Orléans qu’elle comprend profondément.
« Alcool est un roman qui se déguste avec plaisir. On s'en délecte. : il se débouche comme un champagne, se verse comme un Cognac et se savoure comme une fête ».
Note :
À la fin de l'année 2006, Poppy Z. Brite a annoncé sa décision de cesser toute apparition publique à la suite de graves problèmes de dos qui ont affecté sa capacité à se tenir debout, à s'asseoir ou à marcher sur de longues périodes5.
Il écrit toujours de courts articles de non-fiction, notamment des éditoriaux invités pour le New Orleans Times-Picayune et un article sur la nourriture pour Chile Pepper...
Il vit aujourd'hui avec l'artiste et photographe Grey Cross.
Extraits :
I :
« C'était un de ces jours d'octobre dont la clémence mettait du baume au cœur des habitants de la Nouvelle-Orléans ayant enduré de longs étés suffocants, un jour étincelant d'or et de bleu, juste relevé d'une pointe de fraîcheur. Dans le parc Audubon, deux amis s'étaient assis sur une des branches basses d'un chêne pour s'humecter le gosier. Bien décidés à se soûler, ils avaient commencé la journée à la tequila, mais leur corps gardait en mémoire une acrimonie de longue date contre cette boisson. Ils s'étaient donc vite repliés sur la vodka orange, qu'ils avaient trimballée jusqu'au parc à l'aide d'une thermos. »
II :
En arrivant à la Nouvelle-Orléans, Lenny avait été affligé par la quantité d’alcool ingurgitée par les autochtones. Dans n'importe quelle autre ville, les déjeuners arrosés de trois cocktails étaient tombés en désuétude avec la fin des années quatre-vingt. Mais ici, on pouvait s'en enfiler quatre sans que personne ne bronche. L'absorption de grandes quantités d'alcool faisait partie du folklore, au même titre que le catholicisme tape-à-l’œil, les trois saisons de chaleur humide et accablante, l'air des rues chargé de notes amères soufflées dans des trompettes de location par des jeunes mélomanes noirs. (93-94)
III :
L'air de rien, il venait de réaliser une des plus belles salades que Rickey eût jamais vues. Des morceaux de batavia blonde et de frisée rouge coupés à la perfection s'empilaient sur une grande assiette blanche. La laitue était couronnée d'un petit monceau de patates douces en allumettes et trois nuances pastel de vinaigrette onctueuse - violette, verte et or - égayaient les bords de l'assiette.
-Tu aimes préparer des salades ? demanda G-man à Tanker, sur le ton qu'il aurait employé pour demander : "Tu aimes boire l'écume grisâtre qui stagne dans le caniveau au moment de Mardi Gras ?
IV :
_ Qu’est-ce qui te plaît dans cette recette ? demanda-t-il.
_ Je sais pas… La rencontre entre les rognons et le gin, qui ont tous les deux une saveur un peu astringente, et la douceur du beurre. Et toi, qu’est-ce que tu détestes dans cette recette ?
_ Tout.
_ Non, vas-y, développe un peu.
_ Ça a le goût d’un bout de foie qui aurait mariné dans un urinoir.
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