BIOGRAPHIE THOMAS CLERC

Agrégé de lettres modernes, Thomas Clerc est professeur et écrivain. Il se fait connaître en 2005 en publiant une biographie de Maurice Sachs, intitulée ‘Maurice Sachs le désoeuvré’, et dans laquelle il explore le mythe de cet ancien compagnon et assistant de Cocteau. Il est aussi l’auteur des ‘Ecrits personnels’, essai sur la difficulté de définir l’autobiographie, et plus récemment de ’Paris, musées du XXIe siècle’, guide complet et méthodique de son lieu de résidence, le 10e arrondissement de Paris.

'L' Homme qui tua Roland Barthes' est un recueil de 18 nouvelles, qui portent toutes le titre L' Homme qui tua suivi d'un nom propre : L' Homme qui tua Pier Paolo Pasolini, L' Homme qui tua Gianni Versace, L' Homme qui tua Jésus,L' Homme qui tua le Président des Etats-Unis, etc. Chacune d'entre elles met en scène l'histoire qui se noue entre la victime et son tueur et s'attache à des figures très différentes : écrivain, chanteur, vedettes de la mode ou de lapolitique, aventurier, journalistes, etc. A l'extrême variété des histoires, des personnages et des cas (crime involontaire, acte prémédité, tueur en série, vengeance, assassinat politique, etc .) correspond une variété stylistique, qui donne à chaque nouvelle sa singularité. Le matériau documentaire sur lequel s'appuient tous ces textes est fondu dans un travail de reprise poétique ou narrative, qui ne cherche pas la reconstitution réaliste. Bien souvent tout oppose le criminel de ces nouvelles à sa victime : une espèce d'ironie tragique se dessine dans leur collision. La dernière nouvelle, L' Homme qui tua mon arrière-grand-père, est autobiographique. Elle fonctionne comme un point d'origine.

Thomas Clerc ne cesse de montrer la variété de sa palette stylistique en prenant un malin plaisir à triturer les phrases, à malaxer la syntaxe. Son admirable texte sur Edouard Levé, artiste devenu écrivain dont les thèmes étaient, d’après Clerc, “le double, le même, le neutre”, justifie à lui seul l’achat du volume.

Thomas Clerc ne produit pas seulement une performance littéraire : il dégage ce qu’il appelait dans son premier livre des “rhétoriques de l’existence”.
Thomas Clerc est devenu, en cinq ans, le nom de code d'un singulier champ littéraire qu'il occupe, comme il se doit, seul. Intelligents, neufs, excitants, tous seslivres révèlent un caractère obsessionnel, un goût affiché pour les questions théoriques et formelles, une passion volontariste des "dispositifs". Des qualités qui lui font chaque fois inventer (c'est-à-dire découvrir) les genres littéraires dans lesquels a priori ses opus s'inscrivent.



Le premier, Maurice Sachs le désoeuvré (Allia, 2005), renouvelait brillamment celui de l'essai, dans un kaléidoscope de fragments biographiques et analytiques enchâssant des figures de la rhétorique classique pour dessiner l'"hétéroportrait"d'un écrivain maudit.

Intitulé Le Dixième Arrondissement, le deuxième se révélait aussi génial qu'inédit. Au croisement de la dérive situationniste et du ready-made duchampien, ce travelling visuel et mental d'un "quartier de transition" révélait une certaine poésie urbaine et valait saisie nerveuse de l'époque.

Quant à L'Homme qui tua Roland Barthes, la démarche ayant présidé à son écriture (sur laquelle Thomas Clerc s'explique en postface) a toujours pour but deproduire un "objet mental", lequel revisite ici le genre de la nouvelle, mais surtout son assemblage en recueil. Trouvant que celui-ci nuit trop souvent à celle-là par son caractère hasardeux et arbitraire (Maupassant excepté, mais aussi Morand, celui d'Ouvert la nuit, ou de L'Europe galante, curieusement oublié), l'auteur confesse avoir emprunté à "l'album-concept" de rock l'idée d'un "principe surdéterminant son contenu". Autant dire ne concevoir "de nouvelles qu'unifiées autour d'un axe créant la cohésion du Livre - en l'occurrence, le crime".

En résultent dix-huit morceaux ("parce que XVIII est l'anagramme latine de VIXI qui signifie "je suis mort"") de longueurs variables ; autant de crimes situés sur une large échelle chronologique et majoritairement "affaires d'hommes" ; mais surtout un nombre équivalent de traitements textuels qui (outre le fait d'être tantôt centrés sur la victime, tantôt sur l'assassin, voire sur les deux selon des degrés d'anonymat ou de célébrité divers) diffèrent chaque fois par leurs caractéristiques formelles, leurs personnes et leurs temps narratifs, leurs spécificités langagières, rhétoriques et stylistiques.

TRAJECTOIRE TRAGIQUE                                                

D'où, marqué du sceau de la polymorphie et de la diachronie, un ensemble impossible à résumer mais que son dispositif comme le choix des procédés rendent inégal en termes de virtuosité et d'intérêt. Ainsi, que le lecteur ne se décourage pas en lisant la première nouvelle, qui donne son titre au recueil : trop longue, c'est sans doute la moins réussie dans son nihilisme glauque et ses fatigantes rafales de phrases au passé composé.

Même chose pour celles (gadgets heureusement courts) qui privilégient une novlangue fastidieuse : sabir des textos dans le texte relatif à Anna Politkovskaïa ou découlant des sites Internet de traduction dans celui concernant Thierry Paulin.

Pour le reste, du long déroulé biographique du meurtrier de Gianni Versace écrit à la deuxième personne au conte naïf configurant "L'homme qui tua Marvin Gaye" en passant par le dialogue endiablé de Guillaume Dustan avec l'un de ses contradicteurs aux portes du paradis, ou encore le récit de "Human Bomb", le preneur d'otages de Neuilly, Thomas Clerc intéresse et surprend constamment.

La nouvelle la plus classique, bien que très imaginative ? "L'homme qui tua Maurice Sachs". La plus sophistiquée ? La "tresse" consacrée à Pasolini, où deux récits séparés, deux narrateurs et deux temporalités différentes finissent par serejoindre. La plus intrigante ? La chanson de geste restituant en 35 strophes versifiées la trajectoire tragique de Pierre Goldman.

La plus émouvante ? Celle qui, détournant à la première personne le procédé d'Autoportrait d'Edouard Levé, son ami qui s'était suicidé en 2007, lui fournit l'occasion d'un magnifique portrait qui est aussi un hommage et un témoignage sur leur longue fraternité.

Car ne nous y trompons pas : l'exercice de style est toujours traversé, chez Thomas Clerc, par un fil autobiographique l'empêchant de s'abîmer dans la pure gratuité.

Nul hasard à ce que plus des deux tiers de ses nouvelles narrent des crimes ayant eu lieu depuis 1965 (sa date de naissance) : leur fréquente impersonnalité ne les empêche pas de déployer chaque fois la tonalité d'une époque dont on sent que l'auteur l'a vécue, éprouvée, filtrée pour s'en souvenir ou la critiquer.

D'où le grand nombre de réflexions politiques et sociales (souvent féroces) qui s'en dégagent. Comme un intérêt soutenu pour l'histoire démocratique, saisi à travers les assassinats de Lincoln et du père de Nabokov.

Sinon, discret dans sa référence au mentor intellectuel (Barthes), plus direct dans le cas de l'ami rêvé (Goldman) et réel (Levé) qui ont stimulé sa vocation d'écrivain, Thomas Clerc passe littéralement aux aveux dans l'ultime nouvelle qui pourrait être la première puisqu'il raconte et "psychanalyse" l'histoire de la faillite familiale àpartir du meurtre commandité par son arrière-grand-mère sur la personne de son mari en 1912.

Cette sombre histoire d'un crime de sang mêlé à l'argent, chargeant ce dernier "à mort, comme une bombe à retardement pour les générations futures", éclaire alors d'un jour nouveau la présence des thèmes de la dette et de la trahison dans l'oeuvre de Thomas Clerc. Comme son attachement à la "puissance", qui revient souvent sous sa plume comme l'autre nom de la littérature. "Décidé à convertir en puissance imaginaire cette fuite des capitaux qui réduisit ma famille à l'état de fiction, écrivait-il déjà dans Maurice Sachs le désoeuvré, je transformai la fiction en une famille sur qui je pourrais compter."

Autant dire une famille de criminels capable d'assurer l'infinie convertibilité de la boue en or. Une opération métaphorique qu'un certain Charles Baudelaire nommait tout simplement "art".

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