Max jacob par rené Soral


Saint-Benoît-sur-Loire est célèbre par sa basilique bénédictine dont le narthex est l'une des merveilles de l'art roman.

Cette église évoque bien des souvenirs, parfois dramatiques ; l'un d'eux, récent, est celui de Max Jacob.



Beaucoup de personnes peuvent encore se rappeler l'étrange individu, au crâne rasé, à l'allure de sacristain, qu'elles trouvaient dans la basilique, agenouillé devant les stations du Chemin de Croix, le front touchant le sol, ou bien redressé, se frappant à grands coups la poitrine, les yeux levés au ciel.



Ces yeux étaient très beaux, noirs, brillants, d'une langueur presque féminine et un peu orientale, mais aussi pétillants d'intelligence et de bonté malicieuse.



Lorsqu'on parlait à ce curieux sacristain, on tombait sous le charme de sa conversation, véritable feu d'artifice d'esprit, de culture, de drôlerie, mais toujours pleine de sensibilité, de tact et de gentillesse.



Alors on comprenait que cet homme, qui était Max Jacob, ait pu être l'ami intime de Picasso et d'Apollinaire, et l'un des personnages les plus remarquables de ce mouvement qui, entre 1910 et 1920, fit éclater, à Paris, toutes les traditions picturales et littéraires.



Mais on comprenait moins comment cet Israélite, brillant écrivain, peintre, véritable dandy, homosexuel notoire, avait pu devenir ce pieux sacristain, battant sa coulpe dans cette église des bords de la Loire.



C'est que Max Jacob avait une personnalité particulièrement complexe. En premier lieu, il était à la fois israélite et breton, étant né à Quimper en 1876, où il resta jusqu'à sa quinzième année. La double influence de la race et du milieu explique en tout cas le mysticisme du poète, son goût de l'humilité et des crises de conscience.



Installé à Paris, il fréquenta les cénacles des jeunes écrivains et peintres d'avant-garde qui se réunissaient dans des cafés du Quartier Latin, de Montparnasse ou de Montmartre.



Il y fit la connaissance de Guillaume Apollinaire et de Pablo Picasso qui furent ses meilleurs amis, ainsi que Raymond Radiguet, Jean Cocteau et bien d'autres, car il avait le sens de l'amitié.



Après avoir exercé quelque temps le métier d'employé, Max Jacob s'établit astrologue rue Ravignan, non loin du Bateau-Lavoir, où vivait Picasso dans la misère la plus complète.



Entre deux horoscopes, il écrivait, mais, se passant d'éditeur, faisait imprimer ses livres à son compte, qu'il vendait par souscription à ses amis. Il faisait aussi des gouaches et des dessins, appréciés de quelques amateurs.



Max Jacob était très attiré par l'astrologie, la magie et l'évocation des esprits.



Un beau jour de 1909, ce fut le Saint-Esprit qui descendit, ou plus exactement son incarnation sous la forme du Christ lui-même, éblouissant de beauté, qui lui apparut sur les murs de sa pauvre chambre. Quelques années plus tard, en 1914, une seconde apparition du Christ eut lieu dans un endroit inattendu : au cinéma, sur l'écran où passait un film à épisodes de Paul Féval.



C'est alors qu'il se fit baptiser, et son parrain fut Picasso. Cependant cette conversion ne se fit pas sans difficultés et laissait ses meilleurs amis sceptiques. Ils ne voyaient en lui que l'amuseur dont les talents mordants d'imitateur faisaient leur joie, le dandy aux goûts excentriques, portant à Montmartre monocle et haut-de-forme, le bohème impénitent, le mondain séduisant les grandes dames par sa drôlerie et sa gentillesse, l'homosexuel invétéré, le drogué enfin, car il prenait de l'éther.



Mais ces pitreries, ces grimaces dissimulaient une grande détresse, une profonde sensibilité, un dégoût de sa vie factice et des tentations auxquelles il succombait, non sans lutte intérieure.



Ces deux aspects de sa personnalité caractérisent aussi son œuvre, et c'est ce qui en fait le charme, car, derrière les jeux de mots, les images baroques et surréalistes, une sensibilité frémissante, qui voudrait se cacher sous ces jongleries, éclate parfois et leur donne une intensité toute particulière.



Ainsi, l'un de ses livres, intitulé La défense de Tartufe est dédié « à saint Cyprien, mon patron et mon ange gardien..., à saint Jude, avocat des causes désespérées ». Or un peu plus loin on peut y lire ces vers :



Loïe Fuller, c'est épatant,

Sur le bi, sur le bout, sur le bi du bout du banc,

Mais ce Rodin est un salaud,

C'est zéro !

Otéro !

Ah voilà un numéro !



Et puis, ailleurs, voici un poème qui nous touche au fond du cœur :



J'ai peur que tu ne l'offenses

Lorsque je mets en balance

Dans mon cœur et dans mes œuvres

Ton amour dont je me prive

Et l'autre amour dont je meurs

Qu'écriras-tu en ces vers

Ou bien Dieu que tu déranges

Dieu les prêtres et les anges

Ou bien tes amours d'enfer

Et leurs agonies gourmandes

Justes rochers vieux molochs

Je pars, je reviens, j'approche

De mon accessible mal

Mes amours sont dans ma poche

Je vais pleurer dans un bal

Sur les remparts d'Édimbourg

Tant de douleur se marie

Ce soir

Avec tant d'amour

Que ton cheval Poésie

En porte une voile noire.



La forme de ses poèmes (1) est très libre et va jusqu'au poème en prose dont il usa en maître dans Le Cornet à dés.



La verve de Max Jacob éclate dans ses petits romans, chefs-d'œuvre d'observation humoristique de la bêtise humaine ; en revanche ils sont dénués de tout mysticisme.



Dans ses aquarelles et ses dessins, Max Jacob a fait également preuve d'une grande virtuosité. Il signa même un contrat avec un marchand de tableaux et aurait certes pu faire une brillante carrière de peintre.



Mais petite à petit la religion lui montrait l'inanité des biens de ce monde. Il fit un premier séjour de deux mois à Saint-Benoît-sur-Loire en 1921. Il s'y trouva si bien qu'il y revint habiter plusieurs années, servant la messe, décorant l'autel, priant.



Mais en 1927, il en eut assez et revint à Paris où il se livra avec délectation aux joies et aux débauches de la capitale. Puis il en fut de nouveau lassé et retourna à Saint-Benoît, cette fois-ci définitivement.



Jusqu'en 1944, sa vie fut parfaitement édifiante, sans cependant lui apporter la paix de l'esprit, car sa faculté de souffrance était infinie, ses scrupules innombrables et sa sensibilité plus vive que jamais.



La guerre et les persécutions faites aux Juifs aggravèrent ces réactions, jusqu'à ce qu'un matin de février 1944, il fût arrêté par les Allemands, venus sonner à la porte du presbytère.



Il ne put supporter l'incarcération et mourut d'une pneumonie au camp de Drancy.



Max Jacob, qui avait toujours été hanté par l'idée de la mort, l'avait imaginée sous bien des formes, mais pas comme celle-ci, sans même qu'il puisse recevoir les derniers sacrements.



Il écrivait un jour, remerciant Dieu de ses bienfaits :



« Je vous remercie de m'avoir fait naître de la race juive souffrante, car cela seul est sauvé qui souffre, et qui sait qu'il souffre et offre à Dieu sa souffrance. »



Max Jacob, frappé de cette double malédiction ancestrale, celle d'être Juif et homosexuel, en a plus souffert que tout autre. Il a cependant pu trouver un havre dans la religion catholique, ce que n'avait pu faire cet autre poète maudit : Verlaine.



Leur mort semble être la mesure de leur destin. Verlaine, trouvé nu sur le carrelage chez une prostituée ; Max Jacob, arraché à l'Église où il venait de servir la messe, par une force aveugle et brutale, et crevant, telle une bête, dans un camp de concentration.



Ils ne sont certes pas les seuls à avoir connu ces tragiques destins. Mais ils nous intéressent tout particulièrement, car nous partageons certaines de leurs souffrances dont ils ont laissé une trace brûlante et, espérons-le, immortelle.



Arcadie n°97, René Soral (pseudo de René Larose), janvier 1962

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