Javier Marias : comme les amours

                                                                          

Comment vous parler de ce livre et rendre avec justesse l'émotion, la force et le plaisir de cette lecture?
La quatrième de couverture décrit parfaitement l'histoire, inutile de vous la résumer à nouveau. Quoi de plus banal qu'une histoire d'amour, de mort et de trahison me direz-vous? Que nenni! La psychologie des protagonistes, le déshabillage de leurs pensées et de leurs âmes est absolument envoutant et l'écriture est d'une richesse qui porte l'analyse et la rėflexion à un très haut niveau. Ce n'est que mon avis, bien sûr, mais j'encourage tous les amoureux de la littérature à lire ce roman magnifique.



Chaque matin, dans le café où elle prend son petit déjeuner, l?éditrice madrilène María Dolz observe un couple qui, par sa complicité et sa gaieté, irradie d?un tel bonheur qu?elle attend avec impatience, jour après jour, le moment d?assister en secret à ce spectacle rare et réconfortant. Or, l?été passe et, à la rentrée suivante, le couple n?est plus là. María apprend alors qu?un malheur est arrivé. Le mari, Miguel Desvern, riche héritier d?une compagnie de production cinématographique, a été sauvagement assassiné dans la rue par un déséquilibré. Très émue, elle décide de sortir de son anonymat et d?entrer en contact avec sa femme, Luisa, qui est devenue un être fragile, comme anesthésié par la tragédie. Dans l?entourage de Luisa, María rencontre Javier Díaz-Varela, le meilleur ami de Miguel, et elle comprend vite que les liens que cet homme tisse avec la jeune veuve ne sont pas sans ambiguïté. Bien au contraire : cette relation jette une ombre troublante sur le passé du couple, sur la disparition de Miguel, sur l?avenir de Luisa et même sur celui de María. Servie par une prose magistrale, habile à sonder les profondeurs de l?âme humaine mais aussi à tenir son lecteur en haleine, cette fable morale sur l?amour et la mort ne peut que nous rappeler, par son intensité, les meilleures pages d?Un c?ur si blanc ou de Demain dans la bataille pense à moi. Comme par le passé, Javier Marías y dialogue avec les tragédies de Shakespeare mais également avec Le Colonel Chabert de Balzac dont il nous offre ici une lecture brillante, complètement inattendue et strictement contemporaine.

De la littérature dans la littérature.... Ce grand roman de Javier Marias, très proustien dans ses analyses psychologiques et dans ses rapports de l'être humain au temps, est une oeuvre qui revisite les thèmes du Colonel Chabert et des Trois mousquetaires, reliant leurs questionnements à l'histoire d'un meurtre où le mort est finalement plus présent que ses "assassins" , à cause du questionnement que sa disparition provoque. Place des morts, rôle des vivants, ambiguïtés entre ce qui est bien et mal et leurs interférences, fragilité de ce qu'on croit éternel et illusions des habitudes, mensonges que l'on se fait à soi-même pour justifier ses pensées ou ses actes, nécessité des ruptures qui nous débarrassent du poids des servitudes dans lesquels on s'enferme par peur des changements, tout est analysé avec profondeur, intelligence et acuité et montre combien l'être humain qui se croit libre ne vit en fait que dépendant de ses peurs et des illusions d'une morale qui le rassure mais l'entrave.
Chapeau monsieur Marias pour cette démonstration brillante quelquefois un peu simplifiante et avec laquelle je n'ai pas été toujours d'accord, mais qui n'en est pas moins brillante et percutante dans son ensemble.

La prose de Javier Marias est remarquable et son intrigue à mi-chemin entre le roman policier et le roman psychologique est subtilement élaborée. de réflexions en analyses, d'hypothèses en faits, de digressions en révélations, il promène le lecteur au fil des pages sur d'innombrables chemins. le récit est sciemment lent puisque l'auteur part en exploration, il prospecte l'âme humaine, la sonde.
Il est évidemment question de la mort, du deuil, mais surtout de l'amour qui lui subsiste ou pas... de l'absence de la personne aimée, de la notion de temps, de l'amité, de la trahison, de la passion, de la reconstruction, de l'oubli, de la mémoire, de la manipulation, du doute, autant de sujets abordés qui assaillent le lecteur de toute part avec une justesse dans les mots et dans le ton.
Judicieusement, Javier Marias propose des points de vue très personnels sur le roman de Balzac Le Colonel Chabert, sur Les Trois mousquetaires de Dumas et sur Macbethde Shakespeare, illustrant différents aspects de la mort, du crime, du remords, de l'absurdité et de l'égarement de l'esprit.
Un roman épatant où les idées foisonnent, l'ironie s'insinue, la poésie s'invite, le style percute, les sentiments se confondent et les zones d'ombre planent. Une histoire captivante qui nous entraîne dans un enchevêtrement de questionnements sur l'amour et la mort.

extrait :

(...) nous sommes tous des succédanés de gens que nous n'avons presque jamais connus, des gens qui ne s'approchèrent pas ou qui passèrent sans s'arrêter dans la vie de ceux que nous aimons à présent, ou qui s'y arrêtèrent mais se lassèrent finalement et qui disparurent sans laisser de trace ou seulement la poussière que soulèvent leurs pieds dans la fuite, ou qui moururent causant à ceux que nous aimons une mortelle blessure qui presque toujours finit par se refermer. Nous ne pouvons prétendre être les premiers, les préférés, nous sommes tout simplement ce qui est disponible, les laissés-pour-compte, les survivants, ce qui désormais reste, les soldes, et c'est sur des bases aussi peu solides que s'érigent les amours les plus grandes et que se fondent les meilleures familles, nous provenons tous de là, de ce produit de hasard et du conformisme, des rejets, des timidités et des échecs d'autrui, et même dans ces conditions nous donnerions parfois n'importe quoi pour continuer auprès de celui que nous avons un jour récupéré dans un grenier ou une brocante, que par chance nous avons gagné aux cartes ou qui nous ramassa parmi les déchets ; contre toute vraisemblance nous parvenons à nous convaincre de nos engouements hasardeux, et nombreux sont ceux qui croient voir la main du destin dans ce qui n'est autre qu'une tombola de village quand l'été agonise...

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