Al Kenner serait un adolescent ordinaire s'il ne mesurait pas près de 2,20 mètres et si son QI n'était pas supérieur à celui d'Einstein. Sa vie bascule par hasard le jour de l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Plus jamais il ne sera le même. Désormais, il entre en lutte contre ses mauvaises pensées. Observateur intransigeant d'une époque qui lui échappe, il mène seul un combat désespéré contre le mal qui l'habite.

Inspiré d'un personnage réel, "Avenue des Géants", récit du cheminement intérieur d'un tueur hors du commun, est aussi un hymne à la route, aux grands espaces, aux mouvements hippies, dans cette société américaine des années 60 en plein bouleversement, où le pacifisme s'illusionne dans les décombres de la guerre du Vietnam.

Une histoire de sérial killer rédigé du point de vue du tueur, ce n'est pas nouveau, mais ici, non content d'adapter une histoire vraie, l'écrivain prend également la place du criminel pour nous raconter les mécanismes psychologiques qui président au passage à l'acte.

Ce qui frappe, dès le départ, c'est l'apparente froideur du personnage qui analyse son geste comme un acte de survie, presque de légitime défense. Si le lecteur tente de s'accrocher à ses principes moraux, il a pourtant tôt fait de voir Al davantage comme une victime que comme un assassin, ce qu'il est pourtant bel et bien. On se prend donc à presque accepter ses raisons, ses circonstances atténuantes.

Se pose alors la grande question : Al étant censé être l'auteur du récit de sa vie, et ce même homme ayant développé une grande connaissance de la psychologie, est-on en présence de confessions honnêtes ou d'une subtile tentative de manipulation ?

Le lecteur n'en saura jamais rien, et c'est toute l'intelligence de ce livre que de se fonder entièrement sur cette ambigüité. Au delà du simple récit, Al semble se jouer de nous aussi simplement que de ses psychologues, et l'auteur laisse bel et bien au lecteur la responsabilité de juger. Honnêtement, je n'ai pas encore tranché

Je suis entrée aisément dans cette Amérique en plein changement, chargé de décors californiens, de vie idéale hippie pourtant condamnée ; et la vision d'un personnage qui ne cherche en rien à se déculpabiliser sur ses agissements ouvre l'esprit à un débat permanent sur la question du tueur en série. Néanmoins quand on s'attarde sur la vie du vrai Ed Kemper, la partie romancée de Avenue des Géants annihile parfois la cruauté de cet être hors norme rejeté par sa mère, alors qu'il s'agit d'un être plus complexe doté d'une intelligence manipulatrice qu'il a mis au service de ses meurtres, et que le livre élude dans les kidnappings des auto-stoppeuses.

Et je suis un peu déçu par une écriture qui n'a ni la corpulence ni la sagacité ni pour parler bref la folie de la figure de son héros. Les formules sentencieuses y sont légion, la psychologie pour accréditée qu'elle soit par l'épigraphe du roman est pauvre, le mouvement hippie est réduit à un univers simplement bestial : on est et on reste entre gens de bonne compagnie qui statuent lors d'un dîner d'un monde criminel qui continue de nous échapper.

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