Sebastien Barry : des jours sans fin





Chassé de son pays d'origine par la Grande Famine, Thomas McNulty, un jeune émigré irlandais, vient tenter sa chance en Amérique. Sa destinée se liera à celle de John Cole, l'ami et amour de sa vie. Dans le récit de Thomas, la violence de l'Histoire se fait profondément ressentir dans le corps humain, livré à la faim, au froid et parfois à une peur abjecte. Tour à tour Thomas et John combattent les Indiens des grandes plaines de l'Ouest, se travestissent en femmes pour des spectacles, et s'engagent du côté de l'Union dans la guerre de Sécession. Malgré la violence de ces fresques se dessine cependant le portrait d'une famille aussi étrange que touchante, composée de ce couple inséparable, de Winona leur fille adoptive sioux bien-aimée et du vieux poète noir McSweny comme grand-père.
Sebastian Barry offre dans ce roman une réflexion sur ce qui vaut la peine d'être vécu dans une existence souvent âpre et quelquefois entrecoupée d'un bonheur qui donne l'impression que le jour sera sans fin.
Ce livre se lit d'une traite parce qu'il donne sans cesse envie d'avancer dans un monde déjà balisé (celui, disons en gros, du western) avec des personnages aussi attachants que surprenants, déjouant avec profondeur et humour le déjà vu. Barry, romancier irlandais, écrivant (semble-t-il) surtout sur son pays a la bonne idée d'exporter un héros de son Kerry natal vers l'Ouest nord-américain dans les années de la grande famine de 1846-51 qui fit un million de morts et poussa un autre million vers l'immigration dans des conditions misérables.
Le jeune Thomas, c'est son nom, ne trouve rien de mieux pour survivre de l'autre côté de l'océan que de s'engager dans la cavalerie, ce qui nous amène très vite à Fort Laramie et nous embarque dans la saga de la frontière entre 1850 et 1870 avec un détour qui n'est pas de tout repos par la Guerre de Sécession. Barry connaît l'histoire sur le bout des doigts et peut se permettre de raconter de nouveau ce que tout amateur de western littéraire ou cinématographique a déjà expérimenté parce qu'il met en scène des personnages qui sortent du commun. On sait que les héros de John Ford (Feeney) ou de McMurtry ont du sang irlandais dans les veines, mais on n'imagine pas qu'ils ont pu arriver en Amérique dans les cales de navires pourris dont le pont était cloué au-dessus de leurs têtes et où les survivants surnageaient au milieu des morts, pauvres et méprisés par les WASP, et pourtant engagés dans tous les mauvais coups, depuis le massacre des Indiens jusqu'aux milices sudistes qui pourchassaient les Noirs. Et puis, (du moins avant Annie Proulx : Brokeback Mountain), on n'envisageait pas que des gaillards de l'Ouest qui dorment sous la même tente fassent autre chose que de compter les moutons avant de s'endormir. Eh bien si ; Thomas et son grand amour John Cole forment un couple très uni. Quand ils ne sont pas en uniforme, ils se travestissent en femmes ; d'abord pour gagner trois sous dans un saloon. Ensuite, Thomas continue de s'habiller en robe quand il en a le loisir. Le couple adopte d'ailleurs une jeune Indienne qu'ils chérissent et élèvent à la perfection au point d'en faire manger leur chapeau aux militants de la Manif pour tous. Étonnant non ? La vaste galerie de portraits qui anime le récit est à l'avenant : drôles, touchants et tout à fait imprévus sans que le style western soit tourné en dérision.

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