Fictions Jorge Luis Borges nouvelles


Sans doute y a-t-il du dilettantisme dans ces Fictions, jeux de l'esprit et exercices de style fort ingénieux. Pourtant, le pluriel signale d'emblée qu'il s'agit d'une réflexion sur la richesse foisonnante de l'imagination. Au nombre de dix-huit, ces contes fantastiques révèlent, chacun à sa manière, une ambition totalisante qui s'exprime à travers de nombreux personnages au projet démiurgique ou encore à travers La Bibliothèque de Babel, qui prétend contenir l'ensemble des livres, existants ou non.

La multitude d'univers parallèles et d'effets de miroir engendrent un "délire circulaire" vertigineux, une interrogation sur la relativité du temps et de l'espace. Dans quelle dimension sommes-nous ? Qui est ce "je" qui raconte l'invasion de la cité dans La Loterie de Babylone ? En mettant en vis-à-vis le Quichotte de Ménard et celui de Cervantès, lit-on la même chose ou bien la décision de redire suffit-elle à rendre la redite impossible ?

Il n'est pas certain que l'on ait envie d'être relevé du doute permanent qui nous habite au cours de cette promenade dans Le Jardin aux sentiers qui bifurquent. On accepte volontiers d'être les dupes de ces Artifices, conçus comme le tour le plus impressionnant d'un prestidigitateur exercé.

Etonnant. Des histoires courtes et tres denses. Une montee en puissance des evocations par petites touches. Des metaphores decapantes sur la conscience, le monde, l'homme . L'essentiel entre les lignes ou plutot dans le long silence songeur qui suit la lecture, dans l'appel a reflechir, dans les noeuds de contradictions et de paradoxes ou se jettent avec trouble et delice le lecteur, une fois lancee sur la piste par le magicien Borges.
Si vous aimez la Sf, la philo, les histoires courtes et percutantes, lire en peu de mots bien choisis ce que disent maladroitement des auteurs en des milliers de page mal ecrites, vous interroger, reinjecter de l'emerveillement dans vos perceptions, si vous aimez les mythes, les mystifications et les merveilles.
Difficile de ne sentir le vertige. Certaines histoires peuvent paraitre un peu hermetique ou se referant trop a de l'erudition. Mais l'essentiel est excellent et accessible.
Indispensable. Devrait meme etre raconter aux enfants avant de dormir. Ca ramifie les reves.

L'oeuvre de Borges est pleine de labyrinthes et de sociétés secrètes.

En fait, elle est, avant tout, essentiellement, ce qu'elle décrit, pareille au livre en apparence insensé du « Jardin aux sentiers qui bifurquent »: un labyrinthe et une société secrète tout à la fois, ces deux mots renvoyant dans l'imaginaire de Borges à des réalités finalement très proches, sinon identiques.

Si l'on considère en effet qu'une telle société est une sorte de club dépositaire, par delà le temps et l'espace, d'un trésor qui ne doit jamais être entièrement dévoilé, engagé dans la conservation de ce trésor, et, en conséquence dans une forme de quête d'éternité, force est de reconnaître à l'oeuvre de Borges ce statut de société secrète dont le trésor est la littérature universelle et dont les membres, conviés à d'éternelles réunions, sont tous les auteurs vivants, morts et à naître.

C'est bien à la confrérie entière des écrivains que Borges tend en effet la main à travers les siècles et les lieux : A Cervantès ou à Carroll dans « Les ruines circulaires », à de Quincey dans « La secte du phénix », à l'auteur du Kalevala dans « La mort et la boussole » et à tant d'autres encore (Schwob, Chesterton...) dans un désir permanent de préserver, d'actualiser et de renouveler leurs oeuvres ; il porte en lui le passé, le présent et l'avenir de la littérature : combien est, en ce sens, exemplaire « l'histoire de Pierre Menard auteur du Quichotte » ! Il est à la fois un point particulier et l'ensemble de tous les points du labyrinthe de la littérature.

Aussi, chez lui, trouve-t-on en permanence un double niveau de lecture :

Tout d'abord le plaisir de l'histoire racontée (et Borges n'a pas arrêté dans ces courtes préfaces de nous dire avec un brin de malice qu'il était avant tout un conteur d'histoires), des nouvelles passionnantes écrites dans un style nerveux (ce qui n'exclut pas parfois un lyrisme certain) dont on brûle en général de connaître la fin.

Ensuite, la jubilation de parcourir et de découvrir un réseau d'intertextualité infini et indéfini (car fait d'influences directes et indirectes) qui nous ballotte sur l'océan de la littérature universelle ; voilà pourquoi, à chaque relecture de ses courtes proses, on éprouve la sensation étrange de se trouver à un carrefour du labyrinthe borgésien différent de celui auquel on se trouvait à la lecture précédente. Ce déplacement, ce sont aussi nos propres pérégrinations de lecteur qui nous ont amené à l'opérer.

Dans cette perspective, nous sommes en quelque sorte à la fois lecteur et auteur de l'oeuvre de Borges puisque nous créons à chaque fois une perspective nouvelle de lecture. De fait, son oeuvre est, telle la bibliothèque de Babel, infinie car ce n'est jamais tout à fait la même histoire que vous lisez/inventez.

Et l'on reste devant ces « Fictions » perplexe et émerveillé comme un jardinier devant une fleur amarante.

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