Javier Marias : Ton visage demain (Tome 3-Poison et ombre et adieu)

  Quatrième de couverture

Avec cette troisième partie de son grand roman, le doute est levé Marias est mon auteur de langue hispane préféré.


Qui est réellement Sir Peter Wheeler ? Ce sympathique professeur retraité d'Oxford, spécialiste de la guerre d'Espagne, que le narrateur et protagoniste de cette histoire a tant de plaisir à fréquenter ? Ou plutôt un homme hanté par d'obscurs souvenirs et qui garde peut-être un secret inavouable ? Il arrive que l'on découvre soudain que ceux qu'on aime et qu'on croyait connaître cachent, en réalité, bien des mystères. Jaime ou Jacobo ou Jacques Deza, l'ancien lecteur espagnol du Roman d'Oxford, retourne en Angleterre après plusieurs années d'absence et retrouve le vieux professeur Wheeler lors d'une soirée mondaine - les high tables des universitaires britanniques. Il discerne peu à peu dans le passé de son collègue des zones d'ombre qui éveillent sa curiosité et qu'il va s'employer à éclairer. Mais c'est toute sa vie qui va basculer ce soir-là lorsque Wheeler le présentera à l'étrange Mr Tupra et qu'il apprendra qu'il partage avec lui et quelques autres un don rare, une qualité énigmatique : la capacité de lire en profondeur dans la conscience d'un homme et de savoir à l'avance à quoi resemblera, demain, tel visage aujourd'hui si proche, si familier. Javier Marías tisse dans ce roman une histoire dense et passionnante qui, en empruntant ses ressorts aux meilleurs romans d'espionnage, est aussi, comme l'ensemble de son œuvre, une vaste méditation sur l'essence de la nature humaine et sur les rapports entre la vérité et le langage.


Avec Poison et ombre et adieu, voici le troisième volet du triptyque : un nouvel exercice de télépathie où l'on retrouve Jaime Deza, l'ancien employé de la BBC qui continue à patauger dans les eaux troubles des services secrets britanniques. Cette fois, c'est dans la luxueuse maison de l'énigmatique Mr Tupra qu'il nous donne rendez-vous, pour jouer un drôle de jeu : visionner des vidéos clandestines, affreusement violentes, qui compromettent des célébrités, des brasseurs d'affaires ou des hommes politiques. Et qui serviront de pâture aux espions du MI6, la Military Intelligence. "A mesure que je regardais, un poison me pénétrait", dira Deza, prisonnier d'une toile d'araignée dont il essayera de s'échapper en regagnant son Espagne natale, sans savoir qu'il y sera accueilli par d'autres démons...

Sur cette trame policière - un mélange de Nabokov et de Ian Fleming -, l'auteur de Littérature et fantôme (un recueil d'essais publié ce mois-ci chez Gallimard) greffe des centaines de digressions à la fois cocasses et érudites, où il ne cesse de nous bluffer en dissertant sur une paire de chaussures ou un bas filé, un morceau de hip-hop ou un passage de Tristram Shandy. A quoi s'ajoute une critique mordante d'une société où Big Brother est désormais équipé de caméras de vidéosurveillance, et où la tyrannie du voyeurisme a remplacé les anciennes formes de fascisme. Lire Marías, c'est faire provision de lucidité et c'est aussi s'allonger sur le divan du psychanalyste, au détour d'un roman qui est une hallucinante odyssée dans les arcanes de nos cerveaux.

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