Antonio Munoz Molina : l'hiver à Lisbonne



Dans une chambre d'hôtel de Madrid, Santiago Biralbo, pianiste de jazz, raconte par bribes à un ami l'histoire de son amour pour Lucrecia, commencée cinq ans plus tôt à Saint-Sébastien, au Lady Bird. Quinze jours de passion fulgurante, le brusque départ de Lucrecia pour Berlin, quelques lettres, et le silence. Un vide que ne parvient même pas combler la musique, car au Lady Bird Santiago Biralbo avait eu la révélation qu'il ne pourrait désormais jouer du piano que pour être écouté et désiré par elle, l'aimée disparue dans les brumes du nord. Puis la réapparition soudaine de Lucrecia, mêlée au vol d'un tableau, un accident - peut-être un meurtre -, une passion qui s'achève à Lisbonne dans une reconnaissance mutuelle, et un homme qui surmonte la solitude finale dans la certitude obscure qu'il n'y a ni souffrance ni bonheur mais un destin inscrit dans la douceur sauvage et âpre de la musique, et qu'il importe peu, dès lors, d'être mort ou vivant. L'Hiver à Lisbonne, hommage d'Antonio Muñoz Molina aux films noirs américains et au jazz.

Ce livre réveille de vieilles et confuses réminiscences de films noirs (en noir et blanc). Un bar enfume, une morne chambre d’hôtel ou traînent des bouteilles, une arme délicatement caressée, un rideau qu' entrouvre a peine, un homme poste dehors dans le crachin, et des voyages. Des voyages de fuite, des voyages de retrouvailles. Des voyages de peur, des voyages d'espoir. Des trains fusant dans la nuit. le tout dans une constante musique de jazz. C'est une jam-session. Munoz Molina écrit comme un musicien de jazz, qui abandonne la mélodie, improvise, et revient a elle pour finir en beauté.

Dans cette ambiance noire et jazzy, c'est une histoire d'amour qui nous est contée. Un amour impossible. Un amour poursuivi d’année en année, de bar en bar, de ville en ville. Jusqu’à Lisbonne, ultime rêve, ultime espoir, la ville ou nous sera donne une sorte de dénouement. Ou tout sera –définitivement? – rate. Un dernier accord de jazz désabusé. Mais Lisbonne est peu décrite. d’ailleurs dans son dernier roman Molina raconte entre autres la genèse de ce roman. Et effectivement à l'époque il n'était jamais allé à Lisbonne. Il y a aussi Madrid et ses rafales de vent qui s'engouffrent dans les portails des vieux hôtels de la Gran Via, et surtout San Sebastian. Pas le San Sebastian d’été bourre de touristes se dorant au soleil. le San Sebastian d'hiver, dans la bruine, au ciel de plomb surplombant bas une mer vert fonce qui s'acharne contre l’île de sa baie, avec pour seule défense les tenailles de fer que le sculpteur Chillida planta dans ses rochers. Une ville esseulée ou les taxis roulent vite dans des rues vides de piétons. Ou des autochtones transis se retrouvent dans des bars mal éclaires pour écouter un pianiste et se chauffer au bourbon, ou a la bière ou aux deux. Un San Sebastian parfait pour l’atmosphère ou veut nous plonger Munoz Molina.

Il faut dire que l'auteur n'a surement pas choisi San Sebastian par hasard. Les amateurs de musique se rappellent que ça a été la première ville a créer un festival de jazz en Espagne (en 1966! Franco dormait?), suivie de Vitoria, autre ville basque. Les basques aiment le jazz, et Munoz Molina aussi, bien qu'il ne soit pas basque. San Sebastian est le berceau du jazz espagnol,

Je reviens au livre. Une histoire d'amour désespéré, une histoire d'amour sans avenir et avec un passe brumeux. Dans une atmosphère oppressante de vieux film noir, racontée en un rythme jazzy casse, nourri des élancements douloureux d'un saxo.

Munoz Molina n'a pas l'habitude d’écrire des thrillers, des romans noirs, mais la il montre qu'il aurait pu s'y consacrer brillamment. Tous ceux qui aiment les romans obscurs et humides, ancres dans les poursuites, les tirs dans la nuit, les larges verres de whisky et les cigarettes entamées jonchant le sol, seront happes par ce livre. Une grande réussite du genre. Et pourquoi seulement du genre? Une grande réussite de Munoz Molina. Il y en aura beaucoup d'autres.

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