Christophe lambert : Aucun homme n'estune île




1961. A Cuba, le pouvoir repose depuis peu entre les mains de Fidel Castro, une menace que le gouvernement américain ne saurait tolérer aussi près de son territoire et qu'il se prépare donc à supprimer. C'est le célèbre épisode du débarquement de la Baie des Cochons qui se soldera par une déroute pour les Américains qui abandonneront finalement l'île aux mains des révolutionnaires. Mais si l'opération avait été un succès ? Et si Fidel et le Che avaient été obligés de fuir la Havane pour reprendre la guérilla ? Et si Ernest Hemingway ne s'était pas suicidé cette même année ? Autant de « et si... » qui constituent la base de cette uchronie signée Christophe Lambert qui nous offre avec « Aucun homme n'est une île » un très bon roman, intelligent et surtout dépaysant. La marque de fabrique de l'auteur, semble t-il, puisqu'il avait déjà consacré l'un de ses romans à une invasion zoulou en Angleterre (« Zoulou Kingdom ») tandis qu'un autre mettait en scène J. R. R. Tolkien et des elfes en pleine Deuxième Guerre mondiale (« Le commando des immortels »). Il faut malgré tout reconnaître que, parmi les littératures de l'imaginaire, les romans consacrés à la révolution cubaine ne sont pas vraiment légion... Nous voilà donc entraîner au coeur des bouleversements qui viennent à nouveau secouer cette île des Caraïbes devenu terrain d'affrontement entre les troupes américaines et les hommes de Fidel Castro qui n'entendent pas renoncer à leur île et à leur révolution aussi facilement.
Outre l'exotisme du décor et l'originalité du scénario, c'est avant tout la qualité des personnages mis en scène par Christophe Lambert qui séduit le lecteur. Il faut dire que l'auteur nous propose un sacré casting ! Il y a d'abord Fidel Castro, célèbre dirigeant de la révolution cubaine prenant de plus en plus goût au pouvoir. Il y a évidemment Ernesto Guevara, aujourd'hui véritable icône pour les mouvements révolutionnaires du monde entier et dont l'auteur brosse un portrait tout en nuance, nous montrant à la fois un leader charismatique proche de ses hommes et faisant preuve de beaucoup d'humanité envers les autres, amis comme ennemis, mais aussi un homme déterminé, extrême dans ses idées et ses actions. Et bien sûr il y a Ernest Hemingway, journaliste, correspondant de guerre et surtout écrivain de génie qui voue une profonde affection à l'île de Cuba où il aurait écrit certaines de ses oeuvres les plus célèbres (« Pour qui sonne le glas ; « Le Vieil homme et la mer »...). Une affection que le peuple lui rend d'ailleurs bien, malgré son très sale caractère, l'âge ne semblant guère avoir adouci l'écrivain que l'on découvre plus téméraire que jamais et portant un regard d'une grande lucidité sur les événements. L'archétype parfait du vieil emmerdeur bougon à qui l'on pardonne tout et pour lequel on ne peut s'empêcher de se prendre d'affection.
Rien à dire non plus concernant l'aspect historique, car, bien que nous ayons affaire à une uchronie, l'auteur a de toute évidence procédé à de minutieuses et sérieuses recherches concernant Cuba et l'histoire de sa révolution. Les nombreuses références à des événements bien réels (le contexte de Guerre froide, le rôle officieux de la CIA...) en sont la preuve. le lecteur appréciera également de découvrir une multitude de petites anecdotes véridiques concernant certains personnages tel que le difficile combat du Che contre l'asthme, ou encore comment Castro aurait truqué un concours de pêche afin de se faire remettre le prix par Ernest Hemingway à qui il vouait une admiration sans borne. En ce qui concerne le style, nous avons affaire à une plume très dynamique qui parvient à donner naissance à des scènes à la fois très visuelles et très intenses : les discussions entre le Che et le jeune cameraman Nestor (là encore un petit clin d'oeil historique), les différentes confrontations entre Ernest Hemingway et son protecteur, les horreurs de la guerre et les particularités de la tactique de la guérilla... Saluons enfin l'intelligence de l'auteur qui ne commet par l'erreur de prendre parti et porte au contraire un regard nuancé et non dénué d'une certaine tristesse sur les événements et les personnages mis en scène.
Une uchronie originale et habilement pensée écrite par un auteur décidément talentueux. Quoi de mieux pour finir que ces quelques mots empruntés au poète anglais John Donne qui n'est pas sans rappeler le titre du roman de Christophe Lambert aussi bien que celui d'Ernest Hemingway : « Aucun homme n'est une île ; chaque homme est partie du continent, partie du large (...) La mort de tout homme me diminue parce que je suis membre du genre humain. Aussi n'envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi ».

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