Huysmans : A rebours




En cette année mil-huit cent quatre-vingt-quatre, J.-K. Huysmans (1848-1907) signe, de même qu’Élémir Bourges (1852-1925) avec Le Crépuscule des Dieux, un ouvrage auquel il est convenu de se référer comme une « bible du décadentisme ».

Cet écrivain français de parenté flamande, critique littéraire et critique d’art, un temps proche de Zola et membre des soirées de Médan, marqua avec ce roman sa rupture définitive avec le naturalisme – celui-ci menant, selon lui, dans une impasse – pour lui préférer un symbolisme aux accents de plus en plus mystiques (Huysmans finira par se convertir religieusement et écrire des romans d’inspiration catholique comme La Nef ou La Cathédrale).

Avec À Rebours, Huysmans, puisant dans l’imagerie désenchantée et parfois morbide de Baudelaire ou Poe, devient le précurseur de l’écriture « fin-de-siècle » et de l’esprit décadent qui caractérise cette époque. Des auteurs comme Jean Lorrain, Octave Mirbeau, Georges Eekhoud, Oscar Wilde, Louis Dumur, Auguste de Villiers de l’Isle-Adam ou encore Rachilde perpétueront cette tradition littéraire avec des romans traduisant pour la plupart la déliquescence des mœurs contemporaines.


À Rebours met en scène des Esseintes, un riche dandy vivant reclus dans son immense propriété grâce à des rentes et un important héritage perçus dès sa jeunesse. L’action – à supposer qu’il y en ait une, la diégèse semblant être prise dans une sorte de sclérose dramatique – se résume, en grande partie, à un inventaire de ses goûts d’esthète et de puriste : on parcourt sa bibliothèque parsemée d’ouvrages anciens et rares, sa galerie de tableaux signés de grands peintres, son jardin botanique où croissent d’exotiques plantes aux couleurs et aux parfums inconnus…

Des Esseintes semble se murer, à dessein, dans une tour d’ivoire d’où il ne peut apercevoir la médiocrité de ses contemporains, sur lesquels ses avis sont d’ailleurs tranchés. Toutefois, les années passant, il prend conscience que ce mode de vie le ronge de l’intérieur et l’emprisonne dans une sorte de tædium vitae, de « fatigue de la vie » dont il est bien plutôt l’esclave que le maître. Il apprend, dès lors, les limites de l’existence en marge d’une société dont, en dépit du dégoût qu’elle peut susciter, chacun a obligation de se sentir membre, ne serait-ce que pour expérimenter la présence certes cruelle, mais indispensable de l’Autre.

Ennui, décadence et impasse L’ennui, mot fréquemment utilisé dans le roman pour dénommer ce qui afflige des Esseintes, est un terme fréquent à la fin du XIXe siècle. Caractéristique d’un ‘mal du siècle’, il désigne une souffrance particulière qui, en réaction à une époque dominée par les intérêts matérialistes et séculiers, aspirait sérieusement à la nouveauté. L’ennui de la ‘fin de siècle’ est une sorte de langueur, d’insensibilité causée par de trop nombreux plaisirs fugaces bien qu’inédits et souvent sulfureux, et par l’impression blasée d’avoir fait le tour de ce qu’il y avait à ressentir. L’ennui de des Esseintes provient d’un besoin (devenu obsession) de raffinement et de ce qui est inaccessible aux esprits grossiers, d’une exigence croissante d’atypie et de désaccord avec son époque. Souvent en dilettante, il expérimente alors des plaisirs excentriques, tels son orgue à bouche, et a une prédilection pour l’artifice (fleurs, parfums factices).

J'ai plutôt apprécié l'A Rebours de Huysmans, pas tant pour l'érudition dont fait preuve l'auteur, au travers de son personnage de Des Esseintes, féru d'art, mais plutôt pour l'ambiance qui se dégage de cette écriture à la "désespérance teintée d'humour et volontiers provocatrice". (et aussi parce que c'est un roman assez court) Brandi dès sa parution comme l'expression même du mouvement décadent fin de siècle, cet ouvrage s'inspire clairement de la noirceur morbide de Poe ou Badelaire, m'a beaucoup rappelé La Confession d'un enfant du siècle de musset, et surtout Oscar Wilde. On y retrouve aussi sans doute le cynisme d'un Céline et les chants glauques de Lautréamont..
Les réflexions philosophiques pascaliennes se mêlent au pessimisme de Schopenhauer au travers de l'anti-héros Des Esseintes, dont l'expérience sans lendemain est à peu près le seul ressort du roman, qui reste immobile, immanent... et c'est aussi ce qui en fait la force.
Bref, un roman à ne pas lire durant les longues nuits mornes d'automne -déprime garantie-, mais remarquable. Loin d'être dépourvu de passion, l'anti-héros Des Esseintes la vit au contraire pleinement, dans un sens christique, développant une recherche éffrenée, désespéré, du beau et du plaisir artificiel, qui ne peut prendre fin que dans la mort... ou dans le refuge religieux... choix que fera plus tard Huysmans.
Qu'on ne s'y trompe pas, donc, cette lecture -alors qu'il ne se passe à peu près rien- n'a rien d'ennuyeuse : l'esprit torturé et la grande culture -les deux sont-ils liés ?- de Huysmans interpellent et attachent le lecteur.

Je conseille de lire avant après ou les deux l'introduction de Marc Fumaroli dans l'édition Folio classique sans laqu'elle j'aurais eu beaucoup de lmal à apprécié ce livre à sa juste valeur.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

John Rechy : La citée de la nuit

Lonsam Studio photo gay japon

Bret Easton Ellis : Les éclats 2023.