peter ackroid : les carnets de Victor Frankenstein



Depuis sa publication en 1818, Frankenstein, le célèbre chef-d’œuvre de Mary Shelley, a inspiré quantité d’artistes, de romanciers et de cinéastes. À son tour, Peter Ackroyd donne son angoissante version d’une extraordinaire histoire. L’auteur de ces carnets, le narrateur, c’est Victor Frankenstein lui-même, jeune étudiant genevois. Venu à Oxford poursuivre ses études, il se lie d’amitié avec Percy Bysshe Shelley dont l’athéisme passionné enflamme son imagination. Leurs idées avancées (et scandaleuses pour l’époque) valent
aux jeunes gens d’être renvoyés de l’université. Ils se retrouvent à Londres, où Victor entend poursuivre ses expériences sur l’électricité et – pourquoi pas ? – réinsuffler la vie à un mort. Grâce aux théories de Galvani, à un matériel impressionnant et aux cadavres bien frais fournis par l’abominable secte des « résurrectionnistes », iln’y réussit que trop bien…

Commence alors, dans une atmosphère pesante et embrumée, l’infernale poursuite : unis par un pacte impossible, créateur et créature se pourchassent. Les énergies en présence, « galvaniques » ou intellectuelles, s’emballent, confirmant la théorie de Mary Shelley, selon laquelle l’homme, quoique conscient de courir à sa perte, ne manque pourtant pas d’y courir.
Incroyable relecture du chef-d'oeuvre de Mary Shelley (il en fait même l'un des personnages de son roman) publié en 1818, que d'aucuns considèrent comme un des premiers romans de science-fiction, le livre de Peter Ackroyd nous plonge dans la psychologie de plus en plus torturée du célèbre docteur. Comme dans l'oeuvre originale, le narrateur c'est Victor Frankenstein lui-même. Mais au lieu de le cantonner à sa Suisse natale, il le fait voyager jusqu'en Angleterre où il rencontrera, outre Percy Shelley, la deuxième femme de celui-ci, Mary, Lord Byron lui-même, ainsi que le "médecin" personnel de ce dernier, Polidori.

Si cela vous dit quelque chose, c'est normal. En effet, en 1816, ces quatre personnages réels ont fait un fameux voyage jusqu'en Suisse, à la villa Diodati. C'est dans cette villégiature que Mary Shelley écrivit la première esquisse de ce qui deviendra son "Frankenstein, ou le Prométhée moderne" alors que Polidori, sur une idée originale de Byron, fit naître "Le Vampire". de l'avis général, ce livre est assez médiocre. Cependant, il inspira presque 80 ans plus tard celui qui deviendra un maître du genre, Bram Stoker. Sans que cela semble artificiel, Ackroyd ajoute son Frankenstein à cette troupe d'artistes en goguette.

C'est brillant. D'autant que ce roman est servi par une écriture fort agréable à lire, pourtant assez classique mais jamais ampoulée. Eh oui, car de la part de l'auteur, il fallait reprendre la façon d'écrire d'un gentilhomme de ce début du XIXème siècle. le plus étonnant, c'est que Peter Ackroyd réussit l'exploit de renouveler le personnage mille fois rabâché (par le cinéma notamment) du savant fou, parvenant même à nous surprendre (un peu).

L'originalité du récit d'Ackroyd est de situer les aventures de ­Frankenstein dans le contexte intellectuel où le personnage fut créé. Son Victor Frankenstein, étudiant idéaliste fraîchement arrivé de sa Suisse natale, rencontre à Oxford un tout jeune homme qui va devenir le grand poète anglais Shelley. Rappelons que c'est la seconde femme de Shelley, Mary, qui écrira l'histoire de Frankenstein, à la suite d'une nuit d'orage en Suisse au cours de laquelle Byron avait mis au défi ses hôtes d'inventer une histoire de fantômes. Ackroyd, passé maître dans l'art de romancer l'histoire littéraire, raconte cette soirée mythique… en imaginant que Frankenstein y assiste en chair et en os.

Cette histoire peut donner lieu à diverses interprétations, philosophiques, théologiques ou psychologiques. Une chose est sûre: l'empathie que l'auteur manifeste à l'égard de son héros et la sévérité avec laquelle il juge ses actes laissent penser qu'il se sent très proche de ce jeune homme qui eut l'illusion de créer artificiellement une vie plus belle que celle qui a cours sur terre. L'écrivain n'est-il pas une sorte de savant fou qui cherche par son œuvre à parfaire le monde ? On peut s'étonner que le prolifique Peter Ackroyd, 61 ans, se montre si pessimiste. Peut-être découvre-t-on en vieillissant qu'il y a de la sagesse à vouloir limiter la curiosité de l'homme, comme il le fait dire à un vieux professeur d'Oxford qui tente de mettre en garde Frankenstein. Quoi qu'il en soit, cette fable, écrite avec une virtuosité magnifiquement traduite en français, a le mérite de rendre à l'histoire inventée par Mary Shelley sa profondeur que d'autres interprétations avaient gommée.

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