Jean Genet


 

La vie de Jean Genet se lit comme l'un de ses propres romans - brut, sans excuses et impossible de détourner le regard.
Né en 1910 et abandonné par sa mère, il a passé son enfance entre placement en famille d'accueil et maison de correction, déjà marqué avant de pouvoir comprendre ce que cela signifiait.
Il est devenu à son adolescence ce que la société attendait de lui : un voleur, un vagabond, un arnaqueur travaillant dans les rues et les prisons d'Europe. Mais Genet en a fait quelque chose d'inattendu : - il l'a transformé ses données biographiques en art, art qui secouerait les fondations de la littérature française.
Ses romans ne parlent pas seulement du désir gay ; ils sont des hymnes, écrits avec une ferveur religieuse qui borde avec le mystique.
Dans *Notre dame des fleurs* et *Le Journal du voleur*, il crée un monde où les drag queens et les petits criminels deviennent des saints et des martyrs.
Le sexe est explicite oui mais ce n'est jamais que pornographique.
Genet écrit à propos de sucer des bites et de se faire baiser avec la même langue révérentielle que s'il était un moine médiéval décrivant sa visions du Christ.
Pour lui, les actes apparemment les plus bas - prostitution, vol, trahison - contiennent une sorte de beauté sacrée précisément parce que la société les juge accablants.
Ce qui rend Genet si convaincant pour les lecteurs queer, c'est son refus absolu de s'excuser ou d' aseptiser.
Écrivant dans les années 1940 et 50 ,époque ou la littérature ne présentait que des homosexuels à punir où en emballant les désirs hors norme dans un langage codé, Genet disait : voici des pédés, des voleurs et des meurtriers, et ils sont magnifiques.
Il ne voulait ni respectabilité ni tolérance. Il voulait glorifier tout ce que la société hétéro trouvait abominable. Ses personnages ne cherchent pas la rédemption ; ils cherchent l'apothéose par la dégradation.
Les circonstances de sa carrière littéraire sont presque aussi improbables que son travail. Il a écrit *Notre dame des fleurs* sur des sacs en papier brun alors qu'il était emprisonné, l'intention à l'origine juste pour son propre plaisir. Quand le manuscrit a été découvert et détruit par les gardes, il l'a simplement écrit à nouveau. Finalement, son travail a trouvé le chemin de la reconnaissance par Jean Cocteau et Jean-Paul Sartre, qui ont reconnu son génie.
Sartre a écrit une étude philosophique de 700 pages sur Genet appelée *Saint Genet*, l'analysant comme s'il était un phénomène religieux, ce qui en quelque sorte était le cas.
La prison n'était pas seulement en place pour Genet - c'était son université, son terrain de jeu sexuel, sa cathédrale. Il décrit les hiérarchies carcérales, les rituels de domination et de soumission, l'économie des cigarettes et des faveurs sexuelles, avec une précision d'initié et un œil de poète. La brutalité masculine de la vie carcérale, plutôt que d'écraser le désir queer, est devenu le creuset qui l'a forgé en quelque chose de plus dur et de plus beau.

Ses amants sont souvent des hommes forts et violents - criminels et meurtriers - et il se positionne à la fois comme leur adorateur et leur victime, trouvant la transcendance dans la soumission.
Genet a vécu ses expériences il ne s'agit pas de fantasmes. Il a passé des années dans et hors de prisons à travers l'Europe, a survécu grâce au vol et au travail sexuel, connu intimement la faim et la brutalité : Quand il écrit sur une cellule de prison ou la chambre d'un arnaqueur, vous avez l'impression d'y être.
Quand il décrit les mains d'un amant ou le rituel de déshabillage pour un client, in nous fait ressentir tout le charnel de ces moments.
Cette authenticité donne à son travail un pouvoir viscéral que les écrivains gays plus respectables de son époque ne pouvaient égaler. Et une grande partie des actuels non plus.
Puis il a abandonné l'écriture. Se tournant vers des luttes politiques.
Sa politique était aussi intransigeante que son esthétique. Il a défendu les Black Panthers, les Palestiniens et toute personne jugée criminelle ou jetable. Il a vu dans ces luttes le reflet de sa propre guerre contre un monde qui voulait que des gens comme lui soient effacés. Certains ont lu son soutien à la résistance violente et aux mouvements révolutionnaires comme une posture romantique, mais pour Genet, la solidarité avec les opprimés n'était pas intellectuelle - elle était personnelle et érotique, liée à sa compréhension du pouvoir, de la soumission et de la beauté de la destruction.
Ce que Genet nous offre n'est pas un modèle pour vivre - sa vie a été souvent misérable, sa vision du monde sombre.
Mais il nous a légué quelque chose de précieux : la preuve que le désir queer, même à son plus abject, même enveloppé dans la criminalité et la dégradation, contient sa propre beauté terrible.
Il a refusé toutes les offres rédemptrices de la société - se comporter mieux, désirer plus correctement, s'excuser d'exister - et a plutôt transformé son ostracisme en une couronne d'épines qu'il portait avec une fierté sauvage.
Et c'est ainsi qu'il a créé une littérature qui semble encore dangereuse, qui refuse tout conformisme, qui insiste sur le désir qui n'a besoin d'aucune justification au-delà de sa propre existence féroce.
Henri Mesquida pour le groupe Faebook : "cinéma et littérature gay".


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Pedro Almodovar parlant de Gabriel Garcia Bernal dans "la mauvaise éducation".

Colby Holt et Sam Probst : Ganymède. Film d’horreur queer. 2023.

Lucien Fradin : Midi-Minuit Sauna. 2024.