Henri James : Les européennes



Une lecture agréable mais un peu tiède.

La Baronne Eugénie Münster est venue s'installer à Boston avec son frère Félix pour y retrouver leur oncle Wentworth. Eugénie a épousé le Prince de Silberstadt, un mariage morganatique réprouvé par le Prince Régnant, son aîné. Ce dernier souhaite rompre ce mariage pour une meilleure alliance. Eugénie a donc fui la vieille Europe pour nouer des liens nouveaux avec sa famille américaine et pourquoi pas trouver un nouveau mari. Les deux Européens vont bousculer les habitudes des puritains américains : "Ils sont sobres et même austères. C'est le genre grave, ils prennent la vie au sérieux. Il doit y avoir chez eux quelque chose qui ne va pas : un mauvais souvenir ou une appréhension. Ce n'est pas le tempérament épicurien. Notre oncle Wentworth est un vieux bonhomme terriblement sévère ; il a l'air de subir le martyre non du feu mais du gel. Nous allons les égayer, nous leur ferons du bien. Il faudra beaucoup les secouer, mais ils sont merveilleusement bons et gentils.
"Les Européens" date de 1878, Henry James a alors 35 ans et n'a commencé à écrire qu'en 1874. Comme dans l'un de ses premiers Romans "Roderick hudson" ou dans son chef-d'œuvre "Portrait de femme", le thème central de ce livre est l'opposition entre la vieille Europe et la toute fraîche Amérique. Eugénie et Félix sont habitués aux raffinements et aux mondanités d'une cour européenne. Eugénie est une femme cultivée, aimant attirer l'attention et fasciner son entourage. Cela ne vas pas sans calcul et elle oscille constamment entre honnêteté et hypocrisie. Sa complexité perturbe quelque peu nos naïfs américains. Félix, quant à lui, porte bien son nom. Il est enjoué, épicurien comme il le dit lui-même dans l'extrait cité plus haut, il s'émerveille de tout et surtout de sa jolie cousine Gertrude. Félix aimerait que sa famille américaine profite des plaisirs de la vie. Mr Wentworth, ses deux filles Gertrude et Charlotte, son fils Clifford, le ministre du culte Mr Brand, Mr Robert Acton et sa sœur Lizzie sont les tenants d'une morale austère. Leurs vies sont des modèles de sobriété et de puritanisme. le passage sur terre n'est pas un lieu de réjouissances et d'abondance. L'attitude d'Eugénie est presque scandaleuse, toujours à la limite de la sensualité. le passage entre les deux mondes se fera par Gertrude, éblouie par le charme et la gaieté de Félix. Elle rêve d'ailleurs, de culture et est fatiguée de la tristesse unitarienne.
Malgré son attachement à l'Europe (Henry James se fera naturaliser britannique à la fin de sa vie), l'auteur a une préférence pour la pureté de cette Amérique encore provinciale. Son inclination se sent tout particulièrement dans ses belles descriptions des paysages : "Lorsque, du seuil de la maisonnette où l'on venait de la recueillir si charitablement, elle regarda les champs silencieux, les pâturages, les étangs limpides, les petits vergers rocailleux, il lui sembla ne s'être jamais trouvée au milieu d'un tel calme ; elle y goûta une espèce de plaisir délicat, presque sensuel. Tout ici respirait la bonté, l'innocence, la sécurité ; un bien en sortirait à coup sûr." Une pureté virginale valorisée par Henry James face à la frivolité européenne.
Ce roman de jeunesse est malgré tout très emblématique de l'œuvre de Henry James. Il est extrêmement plaisant, bien écrit comme toujours et, ce qui est assez inhabituel chez mon cher Henry, léger comme une comédie. Frère et sœur, Félix et Eugénie viennent d’arriver à Boston. Ils sont américain, mais, ayant toujours vécu en Europe, découvrent ce continent pour la première fois.
Sans fortune, Eugénie a dû contracter un mariage «morganatique» en Allemagne. Cela signifie qu’elle a épousé un prince, n’ayant pas elle-même d’origine noble.
Par ailleurs, on soupçonne aussi qu’elle n’est pas mariée légalement, puisque ledit prince veut la répudier. En tous cas, elle a fui cette situation sans issue.
Félix, son jeune frère d’un heureux caractère (comme l’indique son prénom) se définit comme un aventurier; il a été comédien, chanteur, et maintenant dessinateur, et vit de petits jobs depuis toujours.
Leurs situations précaires les ont amenés à se souvenir de leurs riches cousins américains, dont ils espèrent tirer quelque bonne fortune. Eugénie, déjà 33 ans, pourrait se remarier correctement…

Les Wentworth vivent dans la banlieue.
Nous sommes au dix-neuvième siècle et les banlieues rupines du Massachusetts sont fort agréables à Félix, un peu moins à Eugénie, qui depuis le début du récit se déplaît fort ici.
Il n’est pas facile de se présenter chez des cousins que l’on n’a jamais vus, avec des arrières pensées intéressées, et de prétendre avoir seulement envie de les connaître, sans pouvoir réellement celer qu’on est économiquement faible comparé à eux.
Les Wentworth sont une famille austère. Ils fréquentent l’église assidûment, n’ont guère d’imagination et vivent tristement une routine ennuyeuse. La jeune fille sur laquelle Félix a jeté son dévolu, est promise à un pasteur, plutôt coincé.

Habiles, charmants, aptes aux intrigues, Eugénie et Félix s’invitent, se font héberger, courtisent et se font courtiser.
Eugénie va se faire appeler «la Baronne de Münster», et composer un personnage mystérieux, plein de bizarreries. A l’opposé, Félix adopte une spontanéité déjà presque américaine, et annonce pour tout métier «amateur», mot qui va faire effet auprès des Wentworth.
« "Je n’ai jamais étudié; je n’ai pas de formation. Je fais un peu de tout, mais rien de bien . je ne suis qu’un amateur."
Cela faisait encore plus de plaisir à Gertrude de penser qu’il était un amateur que de penser qu’il était un artiste; le premier offrait à son imagination des associations encore plus subtiles… Mr Wentworth, lui, l’employait abondamment, car, bien qu’il ne lui fût à vrai dire pas très habituel, il le trouvait commode pour aider à situer Félix qui, jeune homme extrêmement intelligent, actif, apparemment honorable, et cependant sans profession définie, constituait un phénomène gênant.»
Il ne cache pas son passé aventurier « bohème , et pierre qui roule » sachant l’impact que ces mots peuvent avoir sur une jeune fille élevée avec des principes, mais qui s’ennuie est et prête à la romance. Eugénie elle aussi, tente de faire le siège d’un cousin, puis d’un autre…
Les caractères que James prête à cette famille américaine (la naïveté, la générosité, l’ignorance des usages, le repli sur soi , le puritanisme) ne les empêchent pas de loger leurs cousins européens, et de les écouter en dépit de leur méfiance. De nos jours, la connaissance du vaste monde leur aurait moins fait défaut et leur sens de l’hospitalité eût été amoindri.

Lorsque j’ai lu "Daisy Miller" ou "Les Ailes de la colombe", les portraits des américains tels que les voit Henry James m’ont paru vraisemblables, et ceux-là un peu moins!



Le séjour d’Eugénie et Félix près de Boston, leurs marivaudages incessants, ne manquent pas d’intérêt. Il y a beaucoup de parties dialoguées, avec de courtes répliques, bien plus que je n’en ai relevées dans mes précédentes lectures de l’auteur. Des métaphores amusantes et inédites, et des situations cocasses le récit n’en manque pas, mais il n’est pas tout rose, loin de là!

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