Albert Camus : l'étranger






L’Étranger est un roman d’Albert Camus, paru en 1942. Il prend place dans la tétralogie que Camus nommera « cycle de l’absurde » qui décrit les fondements de la philosophie camusienne : l’absurde. Cette tétralogie comprend également l’essai intitulé Le Mythe de Sisypheainsi que les pièces de théâtre Caligula et Le Malentendu. Le roman a été traduit en quarante langues et une adaptation cinématographiqueen a été réalisée par Luchino Visconti en 1967.

Le roman met en scène un personnage-narrateur nommé Meursault, vivant à Alger en Algérie française. Le roman est découpé en deux parties.

Au début de la première partie, Meursault reçoit un télégramme annonçant que sa mère, qu'il a internée à l’hospice de Marengo vient de mourir. Il se rend en autocar à l’asile de vieillards, situé près d’Alger. Veillant la morte toute la nuit, il assiste le lendemain à la mise en bière et aux funérailles, sans avoir l'attitude à attendre d’un fils endeuillé ; le héros ne pleure pas, il ne veut pas simuler un chagrin qu'il ne ressent pas.

Le lendemain de l'enterrement, Meursault décide d'aller nager à l'établissement de bains, et y rencontre Marie, une dactylo qui avait travaillé dans la même entreprise que lui. Le soir, ils sortent voir un film de Fernandel au cinéma et passent le restant de la nuit ensemble. Le lendemain matin, son voisin, Raymond Sintès, un proxénète notoire, lui demande de l'aider à écrire une lettre pour dénigrer sa maîtresse, une Maure envers laquelle il s'est montré brutal ; il craint des représailles du frère de celle-ci. La semaine suivante, Raymond frappe et injurie sa maitresse dans son appartement. La police intervient et convoque Raymond au commissariat. Celui-ci utilise Meursault comme témoin de moralité. En sortant, il l'invite, lui et Marie, à déjeuner le dimanche suivant à un cabanon au bord de la mer, qui appartient à un de ses amis, Masson. Lors de la journée, Marie demande à Meursault s'il veut se marier avec elle. Il répond que ça n'a pas d'importance, mais qu'il le veut bien.

Le dimanche midi, après un repas bien arrosé, Meursault, Raymond et Masson se promènent sur la plage et croisent deux Arabes, dont le frère de la maîtresse de Raymond. Une bagarre éclate, au cours de laquelle Raymond est blessé au visage d'un coup de couteau. Plus tard, Meursault, seul sur la plage accablée de chaleur et de soleil, rencontre à nouveau l’un des Arabes, qui, à sa vue, sort un couteau. Meursault tire une fois sur l'homme sans raison apparente , puis tire quatre autres coups de feu sur le corps.

Dans la seconde moitié du roman, Meursault est arrêté et questionné. Ses propos sincères et naïfs mettent son avocat mal à l'aise. Il ne manifeste aucun regret. Lors du procès, on l'interroge davantage sur son comportement lors de l'enterrement de sa mère que sur le meurtre. Meursault se sent exclu du procès. Il dit avoir commis son acte à cause du soleil, ce qui déclenche l'hilarité de l'audience. La sentence tombe : il est condamné à la guillotine. Meursault voit l’aumônier, mais quand celui-ci lui dit qu'il priera pour lui, il déclenche sa colère.

Avant son départ, Meursault finit par trouver la paix dans la sérénité de la nuit.




Personnages[modifier | modifier le code]

Condamné à mort, Meursault. Sur une plage algérienne, il a tué un Arabe. À cause du soleil, dira-t-il, parce qu'il faisait chaud. On n'en tirera rien d'autre. Rien ne le fera plus réagir : ni l'annonce de sa condamnation, ni la mort de sa mère, ni les paroles du prêtre avant la fin.


Comme si, sur cette plage, il avait soudain eu la révélation de l'universelle équivalence du tout et du rien.

La conscience de n'être sur la terre qu'en sursis, d'une mort qui, quoi qu'il arrive, arrivera, sans espoir de salut. Et comment être autre chose qu'indifférent à tout après ça ?

Étranger sur la terre, étranger à lui-même, Meursault le bien nommé pose les questions qui deviendront un leitmotiv dans l’œuvre de Camus.

De La Peste à La Chute, mais aussi dans ses pièces et dans ses essais, celui qui allait devenir Prix Nobel de littérature en 1957 ne cessera de s'interroger sur le sens de l'existence. Sa mort violente en 1960 contribua quelque peu à rendre mythique ce maître à penser de toute une génération. Karla Manuele



Analyse et commentaires[modifier | modifier le code]

Albert Camus en 1957.

Il s’agit donc d’un roman — Camus a un jour écrit : « Si tu veux être philosophe, écris des romans »1 — dont le personnage principal, mystérieux, ne se conforme pas aux canons de la morale sociale, et semble étranger au monde et à lui-même. Meursault se borne, dans une narration proche de celle du journal intime (l’analyse en moins), à faire l’inventaire de ses actes, ses envies et son ennui. Il est représentatif de l’homme absurde peint dans Le Mythe de Sisyphe, l’absurde naissant « de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde ». Meursault est un personnage déshumanisé, nous ne connaissons pas son prénom, son nom n'est employé que quelques fois dans le roman, comme s'il n'était qu'un personnage secondaire.
La dimension philosophique du roman[modifier | modifier le code]

Sans doute Camus, par ce roman du « cycle de l’absurde », a-t-il transposé sur le plan romanesque la théorie du Mythe de Sisyphe. C’est du moins la lecture immédiate que l’on peut faire de ce récit, celle que Sartre a fort bien éclairée dans Situations I. L’existence ici-bas n’a pas de sens. Les évènements s’enchaînent de manière purement aléatoire, et c’est une sorte de fatalité qui se dresse devant nous. C’est pourquoi Meursault se borne à faire l’inventaire des évènements de manière froide, distante, comme si ceux-ci survenaient indépendamment de toute volition. Mais Meursault reste un personnage positif, qui s’accommode parfaitement de cette existence. Aussi ne triche-t-il pas avec la vérité, devant Marie Cardona ou le tribunal. Non qu’il manifeste ainsi un quelconque orgueil : simplement, il accepte les choses telles qu’elles sont et ne voit pas l’intérêt de mentir aux autres ou à lui-même.

En tuant l’Arabe, Meursault ne répond pas à un instinct meurtrier. Tout se passe comme s’il avait été le jouet du soleil et de la lumière. En ce sens, la relation du meurtre prend une dimension tragique, d’autant que ce soleil et cette lumière sont omniprésents dans le roman, et agissent même concrètement sur les actes du narrateur-personnage.

Meursault devient l’homme révolté que l’auteur évoquera plus tard. « Le contraire du suicidé, écrit Camus dans Le Mythe de Sisyphe, c’est le condamné à mort »2, car le suicidé renonce, alors que le condamné se révolte. Or, la révolte est la seule position possible pour l’homme de l’absurde : « Je tire ainsi de l’absurde trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté et ma passion. Par le seul jeu de la conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort — et je refuse le suicide. » écrit encore Camus dans son essai3.

Il n’en reste pas moins que L’Étranger pose encore de nombreuses questions auxquelles il est bien difficile de répondre. « Les grandes œuvres se reconnaissent à ce qu’elles débordent tous les commentaires qu’elles provoquent. C’est ainsi seulement qu’elles peuvent nous combler : en laissant toujours, derrière chaque porte, une autre porte ouverte. »4.

Cependant, nous parlons bien ici d’une fiction et non d’un essai ; en effet Camus avoue lui-même avoir écrit l’Étranger dans un but de distraire : son roman est inscrit dans un but ludique, et non pas philosophique. Cependant il est difficile de ne pas faire de rapprochement entre cette fiction et l’existentialisme.

Albert Camus s’explique dans une dernière interview, en janvier 1955 :

« J’ai résumé L’Étranger, il y a longtemps, par une phrase dont je reconnais qu’elle est très paradoxale : “Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l’enterrement de sa mère risque d’être condamné à mort.” Je voulais dire seulement que le héros du livre est condamné parce qu’il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société où il vit, où il erre, en marge, dans les faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle. Et c’est pourquoi des lecteurs ont été tentés de le considérer comme une épave. On aura cependant une idée plus exacte du personnage, plus conforme en tout cas aux intentions de son auteur, si l’on se demande en quoi Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple : il refuse de mentir. » […]

« Meursault, pour moi, n’est donc pas une épave, mais un homme pauvre et nu, amoureux du soleil qui ne laisse pas d’ombres. Loin qu’il soit privé de toute sensibilité, une passion profonde parce que tenace, l’anime : la passion de l’absolu et de la vérité. Il s’agit d’une vérité encore négative, la vérité d’être et de sentir, mais sans laquelle nulle conquête sur soi et sur le monde ne sera jamais possible. »

« On ne se tromperait donc pas beaucoup en lisant, dans L’Étranger, l’histoire d’un homme qui, sans aucune attitude héroïque, accepte de mourir pour la vérité. Il m’est arrivé de dire aussi, et toujours paradoxalement, que j’avais essayé de figurer, dans mon personnage, le seul Christ que nous méritions. On comprendra, après mes explications, que je l’aie dit sans aucune intention de blasphème et seulement avec l’affection un peu ironique qu’un artiste a le droit d’éprouver à l’égard des personnages de sa création. »5

Meursault est un homme qui n’entre pas dans le rang d’une certaine normalité. Il est condamné à mort, sans circonstances atténuantes, parce qu’il ne montre pas d’émotion : il ne pleure pas à l’enterrement de sa mère, il ne regrette pas d’avoir tué, il dit sa vérité quant au mobile du meurtre : « J’ai dit rapidement, en mêlant un peu les mots et en me rendant compte de mon ridicule, que c’était à cause du soleil. »

« Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine. »

Lorsque les Editions Gallimard publient “L'étranger” en 1942, Albert Camus n'a pas encore trente ans. La critique de l'époque accueille ce court roman, le premier de la tétralogie “Le cycle de l'absurde”, sans enthousiasme et pourtant soixante-dix ans plus tard cette oeuvre de jeunesse est de loin la plus connue du Nobel de littérature.

Le narrateur, Meursault, habite Alger qui en cette première moitié du 20e siècle est encore la préfecture éponyme d'un département français. Insensible au monde qui l'entoure, ce pied-noir sans histoire a une personnalité des plus atypiques. Les événements du quotidien, les choses de la vie ne l'atteignent pas vraiment et semblent glisser sur lui comme les gouttes de pluie sur les plumes d'un oiseau.
Stoïque lors des obsèques de sa maman dont il refuse de voir le corps, conciliant avec ses deux voisins de palier aux comportements primaires, prêt à se marier avec sa petite amie Marie alors qu'il ne l'aime pas vraiment, Meursault prend la vie comme elle vient. Tout lui est égal et rien n'a vraiment d'importance.

Le jour où sur une plage écrasée de soleil Meursault abat à bout portant un jeune arabe au couteau menaçant, “L'étranger” plonge soudain dans les sables mouvants de l'absurdité.

L'irrationalité d'un comportement a toujours le don d'exacerber le ressentiment, d'articuler avec force le bras vengeur de la société ; et la justice aux grandes oeillères de s'engouffrer dans la brèche, de se mettre au diapason de cette absurdité.
Imperturbable au fond de sa cellule Meursault reste fidèle à lui-même : le remord ne fait partie de ses états d'âme. le verdict de cette pseudo-justice il s'en accommode et arrive même à apprécier l'indifférence du monde à son égard.

On ne sort pas indemne d'un roman tel que celui-ci dans lequel la bêtise semble la chose la mieux partagée. Trente ans après une première lecture, je le referme aujourd'hui encore avec un sentiment de révolte vis à vis d'un monde qui trop souvent par manque de volonté ou de vigilance se laisse aller à la facilité, tombe dans la médiocrité.
Ce roman d'Albert Camus au titre si justement choisi fait partie de ces oeuvres intemporelles dont le message humaniste impacte durablement l'inconscient collectif.
Lire “L'étranger” c'est faire un pas en direction de l'Autre et c'est déjà beaucoup !

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Lonsam Studio photo gay japon

Bret Easton Ellis : Les éclats 2023.

Jean Desbordes