Jean D'Ormesson : Voyez comme on danse.



L'ami est mort et Paris pleure. Il aimait la vie jusqu'à faire partager cet amour. Tous affluent, femmes, filles, amis, relations et autres. Jean d'Ormesson a perdu son ami le plus proche, indissociable de maints aspects de son existence. Comme il déambule parmi tombes et souvenirs, l'écrivain ne se dérobe pas à un lucide retour sur soi : son amitié pour le défunt, sa vie, ses amours, l'écriture ; pourquoi donc s'être voué au roman ?

La réponse est toute littérature : un assemblage de récits, une polyphonie de destinées qui entremêle la cohorte des participants au dernier hommage et ceux que la plume de l'écrivain convoque au cimetière. "Roman. C'est du roman. Bien sûr : c'est du roman." Du roman à clef qui vire parfois à la gigue macabre autour d'un caveau qui ne se referme qu'au bout de quatre cents pages, d'où sortent en sarabande considérations métaphysiques et truismes, grande et petite histoire. Il y a là des souvenirs lumineux et de la douleur vive ; et l'auteur, qui sait mettre bas les masques, ne dissimule ni le plaisir ni la peine qu'il prit à l'exercice.


Remarquable opus de Jean d'O. Ce dernier alterne un style léger avec un style plus grave, via des transitions très fluides. le rire et l'émotion se mêlent. Un très très bon moment de lecture et de littérature.
D'Ormesson est un conteur érudit. Et il aime étaler son érudition au grand plaisir de ses lecteurs. C'est ici le cas. Mais l'originalité est que le héros est mort. C'est autour de sa tombe que Jean raconte sa vie et celle de ses proches. Et la petite histoire rencontre l'Histoire; les questions existentielles,les non-dits d'une vie; l'infiniment petit,l'infiniment grand. On pleure, on rit. Et grace à un enterrement, Jean comprend la beauté et la fragilité de la vie et l'importance de ce que l'on en fait. Merci monsieur d'Ormesson de ce livre pour gourmand, c'est un plat subtil et raffiné.
"Il y a des jours, des mois, des années interminables où il ne se passe presque rien. Il y a des minutes et des secondes qui contiennent tout un monde".
"Les Italiens comme les Irlandais, participent depuis longtemps aux guerres des gangs qui n'en finissent jamais et se nourrissent d'elles-mêmes. Ce sont des criminels à l'ancienne mode : œil noir, moustache épaisse, goût prononcé pour la vendetta et les meurtres symboliques.Ils ressemblent à ceux qui jouent dans Le Parrain. Par allusion à Pistol Pete, figure légendaire du Far West historique, les gangsters juifs, avec mépris, les baptisent "Mustache Pete." N'en déplaise aux patrons juifs du crime, les Rothstein - le précurseur, le grand ancêtre, le Moïse du milieu .../... les Lepke, les Shapiro, les Cohen... ce sont les Mustache Pete qui tiennent le haut du pavé de la clandestinité criminelle.".
".../...
Luciano, en échange, par l'entremise de Meg et par celle de Lansky, transmettait ses ordres aux capi des dockers. Bientôt, sortant de sa retraite volontaire et de sa semi-clandestinité, Meyer Lansly .../... put se présenter, dans un immeuble sous haute surveillance de Church Street à Manhattan, aux chefs des services secrets de la Marine et leur déclarer :
- Je peux vous promettre une chose : il n'y aura pas d'agents nazis dans le port de New York et les sous-marins allemands ne parviendront pas à s'y glisser.
A la tête d'une fortune de plusieurs milliards de dollars, inculpé à plusieurs reprises de fraude fiscale et toujours acquitté, Meyer Lansky .../...
Une crise cardique l'achèvera à Miami en 1983. Il avait réalisé le rêve suprême de tout gangster de haut vol : il était mort de vieillesse.
".
" Deux ou trois étés de suite, nous avions lâché l'Italie pour l'une ou l'autre des îles grecques. Nous louions pour pas cher des maisons qui étaient loin des villages et tout près de la mer. Les voitures, les journaux, les faits divers, les impôts, les débats de société et les institutions, nous les laissions derrière nous avec Margault et Romain. A Naxos, notre fenêtre donnait sur un champ de lavande. A Symi, nous avions un figuier au milieu du jardin. J'écrivais à son ombre un livre sur mon enfance qui allait s'appeler Au plaisir de Dieu.
Nous marchions sur le sable, nous dormions beaucoup nous ne voyions personne, nous nous baignions à tout bout de champ, nous nous nourrissions de tomates, de mèzés, de feuilles de vigne farcies, de tzatziki. Les journaux de Paris arrivaient une fois par semaine au port où nous n'allions pas les chercher.
Non, nous ne nous ennuyions pas. Nous ne faisions presque rien. Nous nous aimions. "

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