Varenne : le mur, le kabyle et le marin

Un voyage âpre dans le temps : 1957-2009. Dans les mois le père s'était décidé à dire son "refus" de partir pour l'Algérie, et la sanction qui s'ensuivit : l'affectation dans un DOP, un de ces lieux destinés à la " recherche du renseignement par la torture ". Le talent d'Antonin Varenne a fait le reste. Un exercice sur le fil de l'émotion et du besoin d'exorciser. Le Mur, le Kabyle et le marin... Un combat contre l'oubli. 2009. Sur un ring, un boxeur observe sans complaisance l'adversaire qu'il va affronter, un gamin de vingt ans... Faisant fi du manichéisme, le roman bouleverse par la justesse du plus humble de ses personnages, comme par son intuition des rêves d'une génération saccagée. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, où les États-Unis sont toujours intervenus au cours des dernières décennies, l'une des présences étrangères les plus fortes était autrefois celle de la France. Avec des critères politiques tout aussi controversés et certainement pas de meilleurs résultats. Antonin Varenne nous le rappelle dans ce « le mur, le Kabyle et le marin », noir et en équilibre entre la reconstitution historique de la guerre d'Algérie de 1957 et le feuilleton contemporain, assaisonné de policiers voyous, de boxe truquée et de nationalisme d'extrême droite. Ici les personnages sont ordinaires mais une mécanique narrative particulière : l'histoire rebondit entre les événements contemporains de George « Le Mur » Crozat, policier parisien et boxeur amateur (grand encaisseur), d'où son surnom) de bas étage et bon pour les matchs plus ou moins truqués, et ceux de Pascale Verini, socialiste, idéaliste et rebelle juste assez pour être envoyée en châtiment sur le front algérien en 1957. Les deux tiers du roman se font par chapitres alternés et raconte ces deux personnages, deux perdants à la recherche de quelque chose dont ils ne savent même pas ce que c'est. Le Mur, désormais sur le point de se retirer du ring, sombre lentement dans la dépression et accepte de travailler pour le compte d’un inspecteur véreux de la brigade "grands crimes", tandis que Verini, tout juste débarqué en Algérie, est transféré dans une ferme par cauchemar au milieu du Sahara, où les prisonniers de guerre nord-africains sont impitoyablement torturés et tués à l'abri des regards et des oreilles indiscrets (écho des séquences d'ouverture du film "Zero Dark Thirty"). On sait que le noir français est parfois loin des « règles » du polar anglo-saxon ou scandinave. Le talent de Varenne est de savoir entretenir l'intérêt du lecteur sans crime, sans enquête et avec une intrigue apparemment fugace. Comment l'auteur va-t-il nouer ces deux fils narratifs si éloignés l'un de l'autre par le temps, l'espace et l'atmosphère ? Il aura fallu un peu de patience mais au final Le Mur butera, au cours d'une de ses basses œuvres peu policières et très hors-la-loi, sur la mosaïque qui relie son Paris délabré et souterrain à Verini et aux atrocités insensées de la guerre d'Algérie. Varenne propose même une fin serrée, pyrotechnique et amère au bon moment. Varenne écrit avec une élégance nue, avec une prose et sèche pour la partie parisienne plus rêveuse pour l’algérienne. Ses personnages ne sont pas très "cool". Pas de VIP, pas de détective à succès ou de génie criminel, encore moins de soldats héroïques ou de grands exploits militaires. Au lieu de cela, une profusion de petits criminels et de petits hommes de loi tout aussi petits, de putains et de militaires alcooliques, sadiques ou inadaptés, d'égorgeurs algériens qui défendent leur terre comme ils peuvent et d'hommes abusés par la vie qui ont vieilli portant des blessures qu'ils n'ont pas voulu, ou pu guérir. Un sujet qui n'est pas facile à gérer, mais dont Varenne, bien qu'avec une légère hésitation dans le rythme, a su faire un roman prenant, riche en humanité et plein de surprises.

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