"Luca Guadagnino" : "Queer". 2025.
Je vous en reparle surtout pour vous proposer l'excellente critique qu'en donne mon ami "Patrick Kissel" avec laquelle je suis tout à fait d'accord.
En contrepoint je vous redonne aussi, avec sa permission, le texte de "Robin Josserand" ou il compare ce film au "mala noche" de "Gus Van Sant "qu'il préfère. (dans la partie A la une se trouve l'entretien littéraire que robin Josserand m'a accordé pour son "un adolescent amoureux"...)
I :
Queer est le récit halluciné d'une errance, d'un mal de vivre incurable qui a pour toile de fond un Mexique couleur de cauchemar, avec son soleil obsédant, ses étendues de tôles ondulées et toute une faune pittoresque et violente. Lee, alter ego spectral de Burroughs, titube de bar en bar, à la fois désespéré, avide et indifférent. Son seul repère : Allerton, jeune homme indolent, jaloux de son indépendance mais aussi secrètement flatté d'être l'objet de la convoitise de Lee. Ensemble, ils se lancent dans une expédition à travers l'Amérique du Sud, à la recherche d'une mystérieuse drogue, le Yage, connue pour ses pouvoirs télépathiques. Remarquable radiographie d'une détresse sans autre recours que l'écriture, Queer, le deuxième roman de Burroughs après le mythique Junkie, est aussi, de son propre aveu, l'un de ses textes les plus autobiographiques.
II critique de Patrick Kissel :
Luca Guadagnino, grand réalisateur italien remarqué sur la scène internationale pour ses grands films (" Call me by your name", "Amore", " A bigger splash", " Challengers" ....) nous livre en salles une adaptation du livre "Queer" de Williams Burroughs, le précurseur de la Béat Génération. Histoire d'une errance autobiographique de Burroughs lui même sous les traits de William Lee, écrivain paumé, alcoolique, drogué en proie avec ses propres demons dans un Mexique des années 50 qu'il a rejoint pour fuir les Etats-Unis. Il fréquente tous les bars, tel un prédateur, qui cherche une proie, il consomme le sexe, l'alcool,la drogue toujours dans l' excès , jusqu'au jour où il fait la rencontre d'Allerton ,un journaliste bien plus jeune que lui dont il tombe éperdument amoureux.Allerton va user de son pouvoir de seduction tout en retenue pour rendre Lee totalement accroc à son charme . Leur amour n'est pas toujours réciproque, il est tantôt brûlant, tantôt controversé et parfois inexistant. Le desir est palpable et de tous les instants dans les yeux de Lee. Ce jeu est très bien porté à l écran par des regards, des silences, des non-dits permanents ,intensifiant leur relation ambiguë. Daniel Craig jouant Lee est époustouflant dans ce rôle de fragilité extrême à contre emploi total du virilisme exacerbé qu' il nous apportait dans James Bond et Andrew Starkey , Allerton est parfait en séducteur pernicieux et manipulateur….Le film , entièrement tourné dans les studios de Cinecitta, est magnifique dans ses reconstitutions d' intérieur vintage, de ses rues mexicaines écrasées de chaleur ,avec des éclairages minutieusement choisis pour donner une atmosphère chaude et poisseuse à la fois, sublimée et désespérée parfois, toujours pleine d espoirs et de doutes entremêlés. Cette 1ere partie du film est magistralement maitrisée et interprétée, tandis que la 2e partie nous transporte dans un voyage plus initiatique en Amérique du Sud aux allures plus surréalistes voire psychédéliques à la recherche d une plante hallucinogène appelée "Yagé" permettant la télépathie, la transe menant à la recherche de soi...je suis plus mitigé sur cette partie du film plus complexe a saisir malgré la scène magnifiquement esthétique des 2 corps entremêlés sous la peau ....L'impression générale du film est plutôt très bonne dans la rencontre, dans la quête, dans le désir dans le jeu des 2 acteurs, dans les reconstitutions, mais beaucoup moins sur l envolée mystique et destructrice de la fin qui vient, selon moi un peu "ternir" l'histoire et n'apporte pas tant au récit....Un film très étrange, très particulier mais que j ai apprécié dans son ensemble…
III Robin Josserand :
Le film de Luca Guadagnino est aussi raté qu’il est beau.
Adaptation à l’écran du livre de William Burroughs, Queer a le mérite d’inviter à (re)lire deux grands livres et à (re)voir un film peu connu de Gus Van Sant.
Dans Queer de Luca Guadagnino, William Lee – alter ego de William Burroughs, auteur du roman autobiographique éponyme interprété ici par Daniel Craig – contemple les images d’un torero à travers les lunettes d’un stéréoscope. On pense à Leiris, bien sûr, « introduire ne serait-ce que l’ombre d’une corne de taureau dans une œuvre littéraire », mais aussi au sous-titre d’un autre chef-d’œuvre : « Qui déconne avec le taureau se prend la corne ». Ce livre, c’est un roman-journal, lui aussi autobiographique, publié en 1977 par Walt Curtis :"Mala Noche". La nuit des amours déçus, de l’homosexualité douloureuse et des obsessions solitaires.
À Portland, un jeune pédé tombe amoureux de Johnny, immigré clandestin d’à peine vingt ans. S’en suit un sérieux coup de corne : tyrannie du désir et dolorisme amoureux. Laissant Walt, le narrateur, définitivement endeuillé : « Quand je tombe amoureux, c’est toujours à côté. » Curtis était un poète et peintre qui gravitait autour de la Beat Generation ; on attend toujours la traduction de la plupart de ses textes. A-t-il lu Burroughs ? À n’en pas douter. Mala Noche a été adapté au cinéma par Gus Van Sant en 1985, et c’est une merveille.
Ici, c’est la même chose sauf qu’Eugene, sur qui Lee jette son dévolu, interprété par le fascinant Drew Starkey – beauté flottante et sourires brumeux –, est américain et que l’amoureux n’en est pas à sa première amertume. « The saddest man in the world » d’après l’un des morceaux du film. Les deux hommes se cherchent dans un Mexique particulièrement poisseux ; Eugene se refuse avant d’abdiquer, fier d’être l’élu. Les amants se lancent alors dans la quête d’une drogue télépathique. Fantasme de la fusion… Détresse du manque…
Y a-t-il plus belle métaphore de l’amour ? Génie de Burroughs et de ses images. Queer a paru en 1953 et les deux livres, à vingt ans d’intervalle, entretiennent un dialogue. Guadagnino poursuit ainsi ce fil, tel un palimpseste, de Burroughs à Mala Noche en passant peut-être par Happy Together de Wong Kar-wai. Il fait sienne cette image ; la recherche, toujours, des garçons compliqués. Si culture queer il y a, elle pourrait ainsi se trouver dans cette trilogie des amoureux abîmés.
Parfois, Queer est une réussite comme cette première scène de sexe bouleversante : tout est là, de l’attente des amants gênés assis sur le lit, déjà terrassés par la puissance du désir, jusqu’à cette ceinture compliquée, une scène de trip éculée, ensuite, mais qui réussit tout de même à nous émouvoir grâce à l’étonnante simplicité de son dispositif : le mélange, donc la multiplication des peaux qui dit la névrose et le fantasme d’amour – « n’y aurait-il jamais de rapport sexuel ? » –, et puis ce dernier plan, regrets éternels et nostalgie d’un amour perdu. Parfois, ça tombe à côté, comme la référence à la mort accentuelle, terrible faute de goût, de Joan Vollmer[1].
En exposant le torero dans l’arène, Guadagnino prouve surtout que son film, c’est-à-dire l’adaptation de Burroughs, existe déjà.
Personne n’a mieux filmé que Gus Van Sant – en un premier film et avec un budget dérisoire de 22 000 $, tourné en noir et blanc et en 16mm – les marginaux amoureux. Les hommes blessés, ces grands désincarnés du désir. À Lee : « Es-tu queer ? » – « Non, je suis désincarné. »
On reste bouleversé, malgré tout, par les jambes de l’amant qui se lient à celles du vieillard mourant. Ainsi, Queer est aussi raté qu’il est beau ; par images, par rares fulgurances. Le film invite surtout à relire les deux textes et à découvrir le film de Van Sant. Car c’est à ça que servent les œuvres moyennes : à mettre en évidence la beauté des chefs-d’œuvre.
IV D'autres avis glanés ici et là :
"Je l'ai lu après avoir vu le film et j'ai été surpris par son accessibilité et sa lisibilité. J'ai pu mieux comprendre l'angoisse et les motivations du personnage principal que dans le film, même si j'ai apprécié cela aussi".
"Je l'ai lu après avoir vu le film et j'ai été surpris par son accessibilité et sa lisibilité. J'ai pu mieux comprendre l'angoisse et les motivations du personnage principal que dans le film, même si j'ai apprécié cela aussi."
"Quand on aborde Queer après avoir lu les romans ultérieurs, on est frappé par la sobriété, la linéarité, et même la belle sécheresse du récit, qui ne contient qu'en germe les thèmes majeurs des oeuvres qui vont le suivre. Pas d'efflorescences verbales baroques, pas d'échappées imaginaires dans tous les temps et vers toutes les histoires, rien que l'amour malheureux et non partagé du narrateur pour un homme qui ne veut pas de lui, raconté à la troisième personne sur le mode de la ligne claire."
#henrimesquida #cinemaetlitteraturegay
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