"Robin Josserand" : "Un adolescent amoureux". 2024.
Cet article fait suite à un entretien que Robin Josserand a eu la gentillesse de m'accorder.
Robin Josserand qui est né au début des années 90 a grandi à Le Creusot, en Bourgogne. Sa mère l’initie à la littérature et très jeune il commence à écrire de la poésie, puis des nouvelles. Il part vivre à Lyon ou il fit des études de littérature et d’Histoire et devient bibliothécaire.
Son travail universitaire l’amène à écrite un article sur « La Beat Generation », qui est remarqué par un éditeur et qui deviendra « Paradise Now, Mai 68 et les avant-gardes américaine ». Une Etude sur l'influence des mouvements américains d'avant-garde artistique et littéraire des années 1960, comme la poésie beatnik, les happenings au théâtre ou encore le courant psychédélique, sur les événements de mai 1968.
Il prend cela comme un signe car il se sent depuis toujours « une intuition de littérature : « J’ai envoyé valser tout le reste et je me suis mis sérieusement à écrire. » dit-il et il cite Annie Ernaux :
« Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues ».
Je ressens lorsqu’il m’en parle que, pour Robin Josserand, écrire est une sorte d’ontologie créatrice non seulement de littérature mais aussi de réalité !
Il se sent désormais prêt à se lancer le roman qui est pour lui, me confie-t-il, comme l’aboutissement des formes d’écritures antérieurs.
En 2024, Robin Josserand publie donc son deuxième livre. Il m’explique qu’il avait commencé d’ailleurs à l’écrire avant de le mettre de côté, le temps de nécessaire pour ce qui sera son premier roman « Prélude à son absence ».
Il confie volontiers qu’écrire "un adolescent amoureux" a été pour lui
"comme une évidence, un point de départ nécessaire et vital pour son œuvre future" :
Il s’agissait de « confronter au romanesque », un adolescent qui est pratiquement son double littéraire :
Robin Josserand récidive sur le thème de l’adolescence en romançant la sienne, qu’il a passé, comme son personnage, à « Le Creusot » et propose donc un récit d’autofiction logiquement à la première personne :
« une des natures de l’autofiction c'est de venir jouer avec le réel afin de le corriger à sa guise »
Toutefois en choisissant de donner à son alter ego, le langage et la pensée d’un jeune homme de 17 ans Robin Josserand nous surprend : c’est tellement réaliste que l’on a parfois, lorsque le jeune homme parle ou qu’il écrit dans son journal, l’impression qu’il s’adresse à nous.
C’est ce qui donne sa saveur au récit, et lui permets d’offrir une vision de l’amour adolescent bien différente des habituels poncifs des histoires de romances et de « Coming-of-Age story » il n’y aura jamais de point de vue extérieur qui surgisse pour expliquer, arranger, traduire le langage de cet adolescent Robin Josserand s’efface au maximum, laisse son narrateur se raconter et nous laisse avec lui.
Ce garçon, vit et se raconte, il n’a donc rien à cacher, rien à expliquer, rien à « romantiser » alors qu’il ne se comprends pas forcément lui-même. Il parle de sa sexualité (réduite à la masturbation), de ses désirs et de fantasmes sexuels, de ses sentiments envers son nouveau camarade de classe qu’il a bien du mal à cerner. Il ne cache pas ses maladresses, ses souffrances, ses doutes.
Le nom de la ville n’apparait pas dans le roman mais est donné dans l’épigraphe de « Christian Bobin » :
« Le Creusot n’était pas le nom d’une ville, mais d’une attente ».
Tant il est vrai que cette ville symbolise pour "Robin Josserand " l’attente que quelque chose se passe, l’attente que quelqu’un arrive, l’'attente de l'amour, l'attente de l'autre, l'attente de savoir qui l’on est… Par conséquent, à la difficulté de ces premiers émois amoureux vient s’ajouter la difficulté d’être marginal dans cette ville ouvrière de province du début des années 2000 que le narrateur déteste et qu’il rêve de quitter.
« Pour moi, c’est l’enfer. L’envers du monde. Nulle part. […] Je me demande comment j’ai pu survivre à tant d’attente. »
Dans cette ville, qu’il trouve aussi sinistre que morose, il n’y a que ce garçon arrivé dans sa classe le jour de la rentrée en terminale qui semble lui insuffler une raison d’espérer, de survivre en concrétisant dès le premier regard tout son désir.
Nommé d’abord, « garçon roux » puis au fur et à mesure que ces sentiments envers lui progressent, « A » puis, « Arture », nom trafiqué pour dire l’incommodité de cet amour et la volonté de lui ressembler au point de copier sa mauvaise orthographe. Il l’appelle aussi Arture en référence choisie à Arthur Rimbaud dont leur parle le professeur justement ce jour-là.
(…À mes yeux il a l’allure d’un mauvais poète p 19).
Ce nouvel élève le fascine et même si ce garçon ne le remarque pratiquement pas, il en tombe éperdument amoureux.
Il faut dire que, pour le narrateur qui se trouve « lisse et inintéressant », lui qui veut être un modèle dans sa scolarité pour faire plaisir à ces parents (son père d’ailleurs a tendance à le traiter comme s’il avait 12 ans), cette fascination amoureuse et obsessionnelle envers Arture est bien compréhensible : Arture, plus âgé que ces camarades, est un cancre et un demi voyou qui dégage un parfum d’interdit, devenant en quelques jours le petit roi des dealers du lycée un cancre. Mais aussi une icône qui a du succès auprès des filles et qui il incarne la virilité, la masculinité à son plus haut degré, absolument grisante. En fait il représente tout ce que le narrateur n’est pas. Il est l’altérité, l’autre, celui qui est libre.
Nous sommes loin du romantisme facile ce que le titre semblait annoncer et Robin Josserand rompt avec le romantisme surjoué de certains récits racontant les premiers amours : Le narrateur est un adolescent qui aime comme il peut, d’un amour solitaire, triste, maladroit en non correspondu qui est, me fait remarquer Robin Josserand,
« tout de même le lot de beaucoup d’amours adolescentes.
Le narrateur tient ainsi cette ville pour responsable de sa marginalité ; un lieu dans lequel il assiste aux histoires des autres et où il voit bien à quel point l’amour peut y être formidable. Alors il s’agit de faire croire, de faire semblant d’être comme les autres puisque dans ce lieu si peu engageant, dans ce milieu et à ce moment, cet amour ne peut avoir d’inscription concrète dans le réel
« Je voulais modestement montrer ce que c’était que d’être un homosexuel tiraillé par son désir dans un lieu où celui-ci n’existe pas »
explique Robin Josserand. Et de préciser,
« Les amours hétérosexuelles contrariées de cet âge ont au moins cette maigre consolation : les autres savent que vous souffrez. Là, vous êtes absolument seul ».
Il aime aussi à remarquer :
« Aujourd’hui, je me dis que les adultes ne savent pas du tout ce qu’est l’enfance »
Il s’agit pour lui encore une fois de cofonder le réel, celui qu’il a lui-même vécu, au romanesque … La fiction comme un palimpseste à même le réel. »
Cette passion du narrateur pour Arture, prend dès le début une forme confuse ente l’amour, le désir et l’admiration. Ce qui est le plus criant dans cet amour que le narrateur ressent envers Artur, c’est sa volonté de faire corps avec l’objet aimé en l’imitant en cherchant à s’effacer, à renier son identité, confondant « être avec » et « faire comme » (comme le dit dans un article de philosophie magazine qui parle du livre, l’écrivain, cinéaste et journaliste Arthur Dreyfus) : Il arrête de lire, se met à fumer,
« en fumant, c’est Arture que je fais rentrer dans ma poitrine »
imite son écriture, se met à jouer des mêmes instruments, à s’intéresser au jazz ou à la peinture de Dali (qu’en réalité il déteste), à s’habiller, à se comporter comme Arthure,
« je me fais la promesse […] de me fondre complètement dans son image et de me contenter pour toujours de la vie d’Arture. » (p.70).
Mais tout ce désir, toute cette admiration tout cet amour ne semblent aboutir à rien de concret : Dans ce roman comme dans le premier, les jeunes héros (qui sont probablement tous les deux Robin Josserand), désirent des images, des projections, des garçons dont ils savent qu’ils ne peuvent rien attendre en retour. Ils admirent. Ils s’enlisent dans un désir impossible, non sans une certaine jouissance quelque peu masochiste (marginalité presque voulue qui se rajoute à celle subie dont je parlais plus haut) par rapport à leur désir qui, de fait, les isole et renforce cette solitude.
Malgré tout le jeune homme n’est pas totalement dupe de sa passion amoureuse : il sait qu’il « n’aura » pas Arture :
« Ce que j'attends de ces promenades, en réalité, c'est de faire apparaître, au détour d'une rue, celui que je souhaite rencontrer un jour. Nous pourrions nous aimer sous les arbres. Mais ce garçon-là n'existe pas. »
Le héros explore sa sexualité naissante, ses désirs et ses interrogations. Il vit des moments d'excitation, de confusion et de culpabilité : La bosse dans le pantalon de garçons, son prof de musique, le corps d’Arture parfois partiellement dévoilé, mais aussi les corps que regarde le narrateur sur les sites porno, sont autant de déclencheurs pour ses fantasmes masturbatoires. Là est son salut :
« Des scènes qui m’éblouissent. Qui me rendent heureux. Ça me sauve la vie. Ça remédie au réel. Je bénis ces images. Je bénis pour toujours la pornographie ».
Il se remémore aussi dans quelques flash-backs des épisodes se son enfance, conscient qu’il est en train de changer
« nous mêlons une dernière fois l’enfance et le monde des adultes »,
de devenir adulte, conscient aussi que son amour pour Artur fait partie de cette transition. Arture c’est aussi comme une porte de sortie de la ville et de l’enfance : car « Un adolescent amoureux » est bien un récit d’apprentissage et d’introspection.
Vers la fin du livre, le jeune narrateur passe du « Je » de l’écriture pour soi, au « il » plus littéraire : On y entrevoie, par la pratique de la réécriture d’une scène évoquée précédemment, la possibilité libératrice de la naissance de la vocation d’écrivain chez cet adolescent qui est bien pour ceux qui pouvaient en douter encore, Robin Josserand :
« s’il a raté son éveil au désir, s’est en l’alliant à l’écriture qu’il s’éveille à la réussite artistique. »
Dans ce sens, ce roman qui parle de Robin Josserand lui-même est aussi une réflexion méta sur son écriture : Pousser son vécu réel vers le romanesque c’est
« donner un supplément de courage au réel» ",« écrire reste une réécriture de soi, de son histoire, et des œuvres qui nous constituent ».
Robin Josserand va encore plus loin en expliquant dans une interview :
« Alors, toute littérature devient autofiction, ce que je crois. Cela pourrait ainsi constituer une belle définition. C’est quoi la littérature ? Une réécriture.»
Dans son récit autobiographique, qui sonne si juste et qui est aussi intime que bouleversant, Robin Josserand nous entraîne dans les méandres de sa propre histoire, celle d'un jeune homme en quête de lui-même, confronté aux premières expériences amoureuses et aux difficultés de l'acceptation de soi, aborde avec une grande sensibilité les le thème de l’adolescence chez les gay à ce moment clé et si fragile qu’est l’adolescence, ou l’on est en quête des soi et où l’on construit sa propre identité.
La plume de Robin Josserand est à la fois poétique, émouvante, crue, incisive et suggestive à la fois. Il utilise un langage simple et direct pour exprimer des sentiments complexes, ce qui rend son récit d'autant plus touchant. Il y a aussi dans ce récit un sens du rythme évident, et Robin Josserand m’explique, qu’étant musicien (un autre de ses talents), il tient à cette écriture « musicale ».
Récit qui parlera à tous ceux qui s'intéressent à la question de l'identité « Un adolescent amoureux » explore de manière plus générale les thèmes de l'adolescence : les émotions intenses, les questionnements existentiels, la recherche de l'amour et de l'acceptation de soi, la honte, les rapports avec la famille… C'est surtout, une autofiction, une éducation sentimentale sur l'éveil du désir au moment du passage à l’âge adulte, et les tourments qui vont que Robin Josserand traduit dans toute sa complexité par son talent de plume !
C’est avec impatience que j’attendrai les prochains écrits de Robin Josserand !
#henrimesquida #cinemaetlitteraturegay
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