John Huckert : Hard. 1998.
Nous sommes dans les années 80. Un flic, devenu détective, cache sa véritable nature, à savoir qu'il est homosexuel, et va se mettre à traquer un psychopathe qui torture et tue des jeunes hommes eux aussi gays.
Le film est précédé d'une réputation sulfureuse, l'affiche signale qu'il aurait pu être interdit aux Etats-Unis, il a des louanges de la part de Quentin Tarantino et William Friedkin (on ne peut en effet que penser à son « Cruising », où Al Pacino infiltrait une communauté gay à la recherche d’un tueur de pour son enquête policière).
D’ailleurs la Jacquette du DVD du chat qui fume annonce on peut lire : "Plus perturbant et malsain que Seven et Le silence des agneaux réunis" dixit William Friedkin !
Ayant vu et revu le film de Friedkin et celui de Huckert et les ayant appréciés tous les deux, je ne peux que constater le parallèle entre l’idée générale. I faut dire que les deux histoires sont tirées de faits réels quasi identiques : Des meurtres dans le milieu gay ont été commis à New York entre 1973 et 1979 pour "Cruising" et dans les années 80, à Los Angeles la police s’est avéré incapable de mettre la main sur le coupable de meurtres sadiques et homophobes pour Hard.
Mais les deux métrages sont distincts dans leur traitement.
Hard est un mini budget de 100 000$ financé par le cinéaste, le coproducteur John Matkowsky et l'un des deux acteurs principaux, Noel Palomari.
Dans l’approche générale Cruising était un film d’enquête ou on suivait le policier infiltré (Pacino) à la recherche de l’assassin dont l’identité n’était révélée que presque à la fin et n’avait pas d’ailleurs beaucoup d’importance. Au contraire, très tôt dans Hard, on est mis au fait des choses. Dès la première séquence on voit « Jack », un trentenaire plutôt beau gosse prendre un adolescent en autostop, abuser de lui et le tuer (même si ce premier meurtre n’est pas filmé). Tout au long du film il drague de jeunes lascars afin de les torturer psychologiquement et physiquement, les violer et les tuer (sauf une fois les meurtres sont hors champ). Ce qui me fait dire que je ressens Hard un peu comme un condensé de "Cruising" et de "Henry, portrait d'un serial killer". Comme dans ce dernier le tueur n’a pas de motivations outre le plaisir qu’il éprouve à tuer (tout en violant, parfois après le meurtre même.
Si les meurtres ne sont pas montrés les flics découvrent les corps de ses victimes cruellement torturées et souillées dans des terrains vagues.
Vient ensuite le deuxième personnage clé. Raymond Vates, un jeune agent latino fraichement nommé au poste d'inspecteur de police qui est chargé de l'enquête sous la supervision de son équipier aguerri, un vieux briscard à qui on ne la fait pas.
Hors Raymond, anciennement marié et père de famille est lui-même gay et le soir après son travail il va gay draguer des mecs dans les bars.
Bien évidemment il a été repéré par le tueur sur les scènes de crime et ce dernier il provoque une rencontre mouvementée, dans un des bars gays de la ville qui se finit dans le lit ! Un étrange jeu du chat et de la souris s'instaure entre eux. La souris va-t-elle se faire manger ? C’est là l’enjeu dramatique principal du film.
Si dans "Cruising" encore, un flic hétéro de base était missionné, moyennant avancement, d'aller enquêter dans le milieu gay tout en se faisant passer pour un homo, dans Hard il en va donc tout autrement puisque notre flic ici est gay. Mais il n'a pas encore fait son Coming Out au sein de la profession. Et pour cause, ses collègues sont plutôt homophobes et leur avouer qu'il a un faible pour les messieurs à moustaches constitue sa plus grande peur. Il faut dire aussi que le scénario s'inspire, comme je l’ai dit plus haut de faits réels relatifs à des assassinats d'homos perpétrés à Los Angeles et devant lesquels les flics ont longtemps fermé les yeux en classant les dossiers sans suite. En clair, les keufs de LA ne sont pas des pédés et certains ne trouvent pas grand-chose à redire aux meurtres puisqu’il ne s’agit que de pédés assassinés ! Il faut d'ailleurs voire comment réagissent les collègues de Raymond à son encontre après qu'il soit sorti de son placard pour s'assurer des sentiments qu'ils éprouvent face à la communauté homo !
Si à travers "Cruising", on a dit que Friedkin avait fait un film pas très représentatif de la communauté gay de l'époque puisque la plupart des scènes avaient lieu dans le milieu sadomasochiste, dans le film de John Huckert, en revanche, le serial killer s'attaque à de jeunes prostitués rencontrés çà et là, à des types dragués dans des bars homos et autres auto-stoppeurs qui ont le malheur de croiser sa route.
Autrement dit, c’est moins éloigné de l’environnement quotidien, du moins c'est beaucoup plus tangible que le milieu SM et ses hommes moustachus affublés de panoplies de cuir noir : Le serial killer est partout et n'a pas forcément besoin de lieu de prédilection pour commettre ses méfaits.
Hard a failli ne pas voir le jour. En effet, plusieurs laboratoires ont refusé de développer le film qu'ils jugeaient trop pornographique et obscène. Les scènes d'embrassades entre hommes ont, à ce titre, été jugées plus choquantes que celles de crimes Mais ces obstacles n'ont, malgré tout, pas empêché le film de se faire. Tourné en pas moins de 32 jours, celui-ci d'aspect pseudo documentaire lorsqu'il nous expose les usages et les procédures de la police, est assez réaliste. La collaboration d'un agent du LAPD (police municipale de Los Angeles) en tant que conseiller technique y est sans nul doute pour beaucoup. D'ailleurs, petit clin d'œil de l'histoire, l’agent « Mitchell Robeson » qui a été l'un des premiers à avoir révélé son homosexualité à ses collègues, interprète un petit rôle de flic dans le film.
Alors puisque l’on ne voit pas les meurtres (contrairement à celui très impressionnant de Cruising) est-ce que le film mérite sa réputation de sulfureux ?
Tout en étant un très petit budget, en évitant le gore et sans montrer les meurtres je pense que oui : Même si le film ne lésine pas sur les scènes de violence (notamment un jeune homme torturé dans le repère du psychopathe que l'on peut voir sur la jaquette du DVD français) et de sexe (on pense, entre autres, à la fin d'une scène entre notre flic de service et un amant de passage où l'on voit son sexe en érection arborant une capote) et que les certaines scènes ou les malheureux jeunes gens sont torturés sont en partie montrés, les meurtres se font hors champ mais le cinéaste est assez doué pour faire de cela une force qui ajoute une tension psychologique intense, l'imagination faisant le reste. En revoyant le film qui m’avait laissé une impression de gore je m’aperçois que presque rien n’est montré : Les jeunes hommes sont attachés, nus en pleine panique pendant que le meurtrier leur dit ce qu’il va leur faire. Il y en a un qui a visiblement des marques de morsures un peu partout… Mais en réalité rien n’est montré directement ! (Un peu comme le fameux meurtre sous la douche dans Psychose ou jamais on ne voit la lame toucher la chaire)
Particulièrement sombre et réaliste, ce thriller est une réussite totale autant d'un point de vue scénaristique que psychologique :
Le pitch avec pour toile de fond une poursuite entre un jeune flic et un meurtrier, évoluant chacun de leur côté mais amenés à se rencontrer. : Si d'un côté le tout récent inspecteur tisse peu à peu des liens d'amitié solides avec son partenaire bourru, tout en draguant les soirs de déprime, de l'autre, le psychopathe réussit à se fait héberger au sein de la famille d'un de ses amants dont il ne tardera pas d'ailleurs à peloter le jeune fils.
Point de vue plus psychologique maintenant, la relation entre le flic et le tueur est extrêmement dérangeante. L'inspecteur éprouve un mélange d'attraction/répulsion pour Jack le psychopathe, à la fois mâtiné de désir, de frustration et de violence. Et là je pense au sixième sens " ("Manhunter") de Michael Mann ou à la série Hannibal où la symbiose entre le serial killer et le flic sont palpable (Pour ceux qui ne connaitrait pas « le sixième sens est le premier film sur Hannibal Lecter et c’est un chef d’œuvre), ou encore au «Furyo" de Nagisa Oshima dans lequel la relation entre la victime et le bourreau était également ambiguë.
Toutefois, John Huckertdans Hard, va beaucoup plus loin puisque l'attirance entre les deux hommes se concrétisera par une scène de sexe bercée par une chanson de George Michael !
La formidable mise en scène est également à mettre au crédit de Huckert qui alterne séquences filmées caméra à l'épaule, avec d'autres plus soignées, ce qui renforce le côté documentaire. Certains spectateurs seront d'ailleurs étonnés de découvrir que Hard a été tourné en 1998 tant son 16 mm crasseux, sa musique synthétique (avec Huckert lui-même aux commandes) et ses acteurs méconnus à la limite de l'amateurisme lui donnent un aspect très eighties.
Le casting est amateur mais sans sort pas si mal.
Mais la véritable révélation, c'est Malcolm Moorman, interprétant Jack de manière monstrueuse. Il joue avec conviction, presque comme "habité" par le personnage, son interprétation est tellement saisissante qu'on dirait que ce rôle a été écrit pour lui.
S'il n'est pas à l'abri de certaines maladresses et baisses de rythme, jamais le film ne verse dans le ton moralisateur primaire et ne nous noie sous une abondance de scènes crues inutiles. De plus, le scénario est excellent puisqu'il entrecroise habilement plusieurs histoires ayant toutes un rapport entre elles, les acteurs sont convaincus et convaincants et enfin le métrage est authentique et parle du milieu gay sans fard ni paillettes. Hard est magnifiquement filmé, mais quelques défauts sautent aux yeux – quelques répliques ratées, quelques accessoires à petit budget. Mais si vous les ignorez et que vous vous concentrez sur le message sous-jacent, vous constaterez que votre temps est bien investi.
Contrairement a ce qui a été reproché au Cruising de Friedkin (que je défens cependant depuis sa sortie) le message de Hard est dénoncé l’homophobie et parle du dégoût de soi qui peut devenir dramatique aussi pour les autres.
Autant le dire je ne suis pas sorti indifférent du re visionnage de ce film
Racoleur et voyeuriste pour les uns, réaliste thématiquement et visuellement parlant pour les autres, Hard suscite des émotions et c'est bien pour ça qu'il faut se procurer le DVD ! #henrimesquida #cinemaetlitteraturegay
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