« Miséricorde ». Alain Guiraudie. 2024.

Meilleur film de l'année 2024 pour les Cahiers du Cinéma Jérémie retourne dans son village d'enfance de l'Aveyron, pour l'enterrement du boulanger, son ancien patron. Sa veuve, touchée par sa présence, lui propose de passer la nuit dans leur maison, dans la chambre de leur fils Vincent, aujourd'hui marié, et qui fut un camarade de collège de Jérémie. Celui-ci apprécie de passer à nouveau du temps dans ce village et décide de s'y attarder quelques jours. Il y retrouve aussi Walter, un autre ancien camarade qui vit isolé dans sa ferme, et fait connaissance avec le curé, Philippe. Entre Jérémie et ces différents personnages, le désir et la violence commencent à circuler. Miséricorde, conte macabre, est aussi une comédie noire où la spiritualité chrétienne vient réveiller ardeur et pulsions sexuelles. Le prêtre au centre du récit (Jacques Develay) n'est cependant le garant d'aucune morale fabriquée. Il agit et pense en son âme et conscience. Oscillant entre le drame classique et une sorte de thriller à suspens tragicomique avec des dialogues et des situations de comédie noire délirante (on pense à « mais qui a tué Harry »), notamment lorsque les personnages du prêtre local et du policier entrent en scène, le film possède aussi cette touche rurale bien française et ce mélange les genres et ça fonctionne plutôt bien.
Ces changements de genre cinématographique qui partent du drame (un peu Chabrolien explorant les secrets, les relations humaines et les émotions enfouies qui peuvent surgir aux moments les plus inattendus mais avec un sens de la morale bien différent), vers la loufoquerie, se fait au fur et à mesure que le réalisme de la situation initiale cède le pas à la thématique du « désir » ! Le désir fait désordre… « Je pense que le public qui verra ce film doit se demander qui va coucher avec qui, et j'ai pensé qu'il ne serait pas mal que la manière dont les choses se déroulent dans le film soit plus conforme à la réalité, c'est-à-dire qu'en fin de compte, personne ne couche avec personne. » Cette citation résume la nature délicate et ludique du film, où la satisfaction attendue du désir est délibérément refusée, créant une tension qui sous-tend une grande partie du récit du film » À plusieurs reprises, il m'a fait penser au dernier film de François Ozon, "Quand vient l’automne", qui se passe également en bonne partie en forêt avec des personnages à la psychologie ambiguë : Jérémie est un protagoniste complexe, dont les actions sont motivées par un mélange de culpabilité, de désespoir et de désir de rédemption. Les personnages secondaires, comme Martine et le prêtre, sont tout aussi nuancés, chacun avec ses propres motivations et secrets. Leurs relations sont pleines de tension et d'ambiguïté, alors qu'ils se débattent avec les implications morales de leurs actes.
Ici les dialogues, chargés d’ironie et de sous-texte, ajoutent une couche de profondeur supplémentaire et maintiennent le spectateur attentif aux petits détails qui révèlent les véritables intentions des personnages. Les acteurs, Félix Kysyl, le protagoniste, Catherine Frot la veuve du boulanger, Jean-Baptiste Durand le fils du défunt et Jacques Develay le curé du lieu forment un ensemble homogène. La conception sonore utilise des sons de l’environnement rural, tels que le vent, le chant des oiseaux et les pas dans les rues désertes, pour créer une atmosphère immersive. Le rythme est lent mais n’ennuie pas (mais ne plaira pas à tout le monde). Guiraudie explore mais se garde bien d’offrir des réponses faciles et oblige plutôt son public à remettre en question sa propre compréhension des concepts de pardon, de culpabilité ou de désir. C'est un film difficile à classer, intéressant et visuellement soigné, dont l’atmosphère à la fois familière et troublante, est capable de maintenir l'intérêt du spectateur dès la première minute et jusqu'à sa fin surprenante.
#henrimesquida #cinemaetlitteraturegay

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