Cédric Pardon : "Des souvenirs de rien". 2024.

Voici un nouveau post conçu après l'entretien littéraire que m'a accordé "Cédric Pardon" à propos de son roman "Des souvenirs de rien". 2024. Éditions le Lys Bleu. (Édition Le lys Bleu). Depuis gamin, vers la 3eme au collège « Cédric Pardon », collégien bordelais, « a compris qu’il était attiré par les mots, le vocabulaire, les expressions (Il me parle de l’effet d’un superbe mont Blanc qu’on lui offrit tout jeune). Mais l'écriture ne lui semblait pas encore à sa portée ... Les années ont passé, un bac A2 en poche, puis une licence d'histoire de l'art, il a tenu pendant quelques années une fleuristerie gallérie d’art. il s’est lancé vraiment dans l’écriture quand il a commencé à travailler à temps plein dans les jardins. N'ayant pas assez de clients l'hiver, il avait un peu de temps ce qui lui a permis de se lancer ! » pour notre grand plaisir. En 2022 La Ville et Bordeaux Métropole organisent un concours de nouvelles et de photos dans le cadre des 200 ans du Pont de pierre : Cédric Pardon qui y a présenté une nouvelle est l’un des gagnants. Ce qui lui permet d’être publié dans un recueil spécialement édité pour l’occasion, « Des Nouvelles du pont de pierre », disponible en librairie et réalisé par les Éditions « Sud-Ouest. http://www.editions-sudouest.com/livres/nouvelles-pont-de-pierre/ Il nous propose cette année « des souvenirs de rien », son premier roman. Enfant non désiré, Martin naît au sein d’une famille bourgeoise de Bordeaux où il tente de trouver sa place. Puis, au fil de ses études et de ses aventures, il évolue vers une vie en dehors des cadres habituels, devenant à la fois un bryologue réputé et un homme sulfureux. Finalement, son corps est retrouvé sans vie dans la forêt de sa propriété du sud de la Gironde. Alternant entre le récit de la progression de l’enquête sur sa propre mort, menée par les gendarmes Le Brio et Leborgne, et les méandres de sa vie, Martin nous dévoile son histoire. Ce n’est pas le premier roman dont le narrateur est un mort, je pense bien sûr au « meurtre de Roger Ackroid » d’« Agatha Christie » ou plus récemment « un garçon d’Italie » de « Philippe Besson ». Mais c’est un point de vue qui est toujours intéressant et ici d’autant plus que l’on n’est pas tout à fait dans un polar ou un thriller. Ce « je », cette première personne nous permet d’être « Martin » et comme lui d’avoir le point de vue d’un narrateur qui est mort. Bien entendu le narrateur qui a fini sa vie peut en parler en toute connaissance de cause et son récit est cadencé par les allers-retours dans le temps, comme si, en parallèle de l'enquête, vous relisiez votre propre journal intime. Le corps de Martin tel qu’il nous le présente lui-même au début du texte est un corps mort qui se trouve dans la nature et qui plutôt que se chosifier semble redevenir une part de cette nature en se végétalisant : Il repose dans une clairière sur un sol de mousse verte et humide. La bouche et les narines obstrués par de la mousse, le végétal auquel il a consacré sa vie. Car Martin était bryologue. Et c’est là ce qui me semble essentiel et original dans ce roman : la relation de cet homme avec l’environnement naturel dans lequel il vit et qui le passionne. Martin, vit semble-t-il, isolé dans une ancienne bergerie en forêt. Par exemple dans ce passage tiré de l’épisode de 1983 alors que martin à 8 ans : « J’éprouvais un réel plaisir à les enfoncer (les doigts) dans ce décor nature propice aux rêveries champêtres, à la sensibilisation à l’écologie naissante, à la fragilité du monde, à l’émoi sensuel… » Martin qui est donc narrateur de sa vie et de sa mort, nous raconte les évènements marquants de son existence par épisodes allant de 1975 à 2017, moments qu’il choisit pour nous permettre de mieux comprendre sa vie, son histoire : Il nous raconte son parcours, sa personnalité, ses fréquentations, ses abus (Martin est né dans une famille bordelaise bourgeoise où il est le petit dernier, il ne sera jamais aimé ni par son père ni par ses frères…) Le roman possède un rythme interne et ordonné : les chapitres sont courts et se succèdent selon un fil rouge temporel : la plupart du temps à un chapitre correspond une année…Et à chaque fois Cédric Pardon utilise un évènement symbolique marquant comme l’élection de Mitterrand, Tchernobyl, la réunification de Berlin, La guerre au Rwanda, ou plus anecdotique ; Jeanne Calmant, le divorce de Stéphanie de Monaco, le premier tweet… Ce qui encre l’histoire dans la réalité et accentue l’impression du temps qui passe comme passe la vie. Qu’est-ce qui dans ce parcours peut expliquer sa mort mystérieuse ? La vengeance, la mésentente familiale, ses fréquentations ? En réalité, Martin comme le révèle vite l’enquête n’est pas une personne qui s’est isolé du monde. Il fréquente d’autres personnes que l’on va découvrir au fil des recherches, il a même un goût prononcé pour la jouissance… Et sa bergerie isolée sert aussi à recevoir pas mal de monde en toute discrétion … Pour des activités, libertines, transgressives et bisexuelles : chapitre correspondant à 1993 alors que Martin a 18 ans : « peu à peu, je comprenais mon attirance égale pour les deux sexes, je découvrais la bisexualité et j’apprenais à l’assumer. Je prenais cette différence comme une force…un atout et une richesse ». C’est aussi quelqu’un qui a aimé les grandes villes comme Venise ou New York et les voyages, l’Afrique en particulier, c’est par exemple, en république démocratique du Congo qu’il a fêté ses trente ans; pas exactement l’idée que l’on peut se faire d’un ermite solitaire, même si est possible bien entendu de se sentir seul au milieu de la foule. « Seul au milieu de l’immensité du cosmos… ». Peut-être se sent-il suffisant à lui-même et qu’il en tire un certain orgueil ? La partie enquête est assuré par le Capitaine Brio et l’adjointe Leborgne mais Martin reste là encore le narrateur : On suit leur progrès, leur interrogatoire, les pistes qui les intéresse… J’interroge « Cédric Pardon » sur ce duo : Le duo s'est imposé à moi comme un poncif du genre, un homme et une femme, différents par l'aspect physique et par l'approche psychologique, mais néanmoins complémentaires, un peu largués face à un crime qui les dépasse un peu, car peu rompus à l'élucidation de ce genre d'affaire de meurtre. Ce côté enquête policière permet aussi à Cédric pardon et à son narrateur de nous présenter toute une galerie de personnages qui ont fait ou font partie de la vie de ce dernier , comme Rebecca sa colocataire quand il avait 20 ans, Marie qui a été son élève et sa maîtresse, Hervé l’instituteur avec lequel il a de nombreux points communs, sa prof de piano quand il avait 17 ans, Paul son adjoint quelque peu jaloux, le maire, le notaire, le voisin, Jean -Baptiste un ami psychologiquement instable, un mystérieux donateur ou encore un corbeau qui envoie des lettres anonymes… Autant de personnages, autant de pistes qui s’ouvrent pour expliquer son meurtre, puisque les enquêteurs finissent par privilégier cette hypothèse : « …cette histoire d’argent glauque, mêlée à une sorte de mafia au centre d’un jeu d’amitié et de sexe ;» Et puis, y il a aussi ce qu’il nous dit de lui, de sa psychologie, de son état d’esprit alors qu’il a dépassé la cinquantaine… de son admiration pour le printemps qui renait chaque année, du courage d’un simple escargot luttant pour atteindre les feuilles qu’il convoite symbole de courage et d’abnégation. Car c’est un personnage dont les inspecteurs contrairement aux lecteurs ne peuvent pas connaître la complexité : Cédric Pardon me dit lui-même ce qu’il pense de son propre personnage :«je dirais que c'est un homme complexe, torturé malgré des apparences trompeuses, un homme enfermé dans son jeu de séduction, plus fragile que son image, plein de fêlures. » Dans ce premier roman court, original, efficace et surprenant Cédric Pardon propose une histoire joliment travaillée, pensée et structurée, dans une prose qui sait être poétique ou crue selon les moments et où l’on trouvera de belles réflexions sur l’utilité de l’ennui ou de la solitude ainsi que le portait d’un héros complexe, le tout soutenu par une enquête policière. Un bien joli premier roman. Depuis « Cédric Pardon » a obtenu le 3ème prix d'écriture de la ville de Senlis en mars 2024 avec sa nouvelle "Hématomes". Comme toujours à la fin des entretiens littéraires je demande à l’auteur s’il s a des projets littéraires à venir et Cédric Pardon m’indique qu’il est en train d’écrire un deuxième roman et qu’il travaille déjà sur un troisième et qu’il participe à des concours d'écriture, de nouvelles notamment. #henrimesquida #cinemaetlitteraturegay

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