"Guy Bordin" :"vers Le monde bleu"
Chronique réalisé après un entretien.
Guy Bordin est ethnologue et réalisateur (huit films avec Renaud De Putter), diplômé en langue et culture inuit. « Vers le monde bleu » navigue entre réalité, songe et quête.
Pour son deuxième roman, Guy Bordin, ethnologue de profession, nous invite à suivre un jeune Français fraîchement muté à Saint-Pierre-et-Miquelon au début des années 90, pour y exercer son métier de professeur, lui qui rêvait de terres du Sud. Un monde peuplé de figures du passé et de peuples anéantis prend alors forme sous ses yeux, tandis que trois hommes lui montrent le chemin, doublant le périple géographique d’une initiation amoureuse.
De ce point de départ, Guy Bordin construit le roman d’une double quête, guidée par la soif de découverte.
Une quête tout ce qu’il y a de plus ethnologique d’abord, en proposant un récit documenté où rentre une bonne part d’ethnographie : dès son arrivée, le narrateur va rencontrer Jacques qui s’intéresse au peuple béothuk désormais disparu, et qui est en quête de trois poupées sensées avoir été confectionnées par la dernière représentante de ce peuple…Certes, il y a une mine d’informations sur les peuples auxquels s’intéressent Jacques ainsi que le narrateur, par intérêt personnel autant que par amour et mimétisme, mais le roman ne tombe jamais dans l’érudition pesante. L’écriture fluide et rythmée évite tout superflu et sait aller à l’essentiel sans omettre pour autant de nous décrire les paysages, les lieux visités et les personnes rencontrées. Tout cela n’empiète pas sur la soif du lecteur de découvrir si oui ou non le narrateur arrivera à dénicher et les poupées et l’amour, et si, porté par ses rencontres, son rêve de voyager un jour en terres australes se réalisera, et l’on tourne les pages avec une curiosité toujours renouvelée et un réel plaisir de lecture.
Mais c’est aussi une quête personnelle, intime et amoureuse, puisque notre héros va être initié (en parallèle de l’histoire des peuples disparus de ces terres boréales) à l’amour.
Notre jeune enseignant se sait homosexuel, mais n’a pas encore osé vivre une histoire avec un autre homme. Les années 1990 sont assez anxiogènes : les homos ne sont pas vraiment acceptés et le sida fauche de nombreuses personnes, dont certaines personnalités comme Hervé Guibert ou Cyrille Collard.
Or, à Saint-Pierre, petite ville sur une île, lorsqu’on est enseignant, il vaut mieux ne pas montrer son orientation sexuelle. Cependant, dans ce cadre difficile, le narrateur va rencontrer presque tout de suite un prof de sport (marié), Jacques, dont il s’éprend, et avec lequel va se nouer une histoire d’amour secrète et passionnée.… Il leur faudra trouver des moments et des endroits pour se rencontrer librement. Ils vont mettre à profit leur temps de recherche sur les Béothuks pour partager de beaux moments. Jusqu’à ce qu’un évènement dramatique survienne…
Puis, viendra une autre histoire d’amour assez forte pour faire basculer notre narrateur vers l’ailleurs…vers le monde bleu…
Ce récit de découverte, de quête et d’initiation nous propose donc un subtil mélange bien dosé d’ethnologie, d’histoire, d’amour et de sexe, sans jamais tomber dans des excès. Ce sont de belles pages, explicites, équilibrées, instructives et sobres, où domine le thème du souvenir, du devoir de mémoire à l'égard de ce qui a disparu, que ce soit un peuple, un être cher ou même un rêve.
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