"Sex Macht Frei" de "Jeff Keller".

Éditions Textes Gais, 2020. Titre provoquant, mais qui s'explique parfaitement à la lecture du roman.
Cet article fait suite à plusieurs rencontres que j'ai eu (pour une fois en présentiel) avec cet auteur, qui est par ailleurs, une belle personne et pendant lesquelles nous avons pu discuter sur son livre. Après le succès en 2008 de « Fuckin Berlin » qui parle d’un univers masculin des plus hard, "Jeff Keller" s’inspire d’une histoire vraie arrivée à un ami, pour ce deuxième roman paru en 2020. Torsten est face à son ordinateur, il jette ses impressions sur la page blanche, les mots filent tout seuls et le nom de Tillo revient en permanence comme un exorcisme. Tillo prend du crystal, cet équivalent de la pervitine que prenaient les nazis. Tillo s’injecte du national-socialisme directement en intraveineuse qu’il transforme en totalitarisme sexuel. Sex Macht Frei pourrait être le titre du roman de Tillo, ainsi que celui de tous ces marathoniens du sexe qui s’épuisent dans la jouissance. Une jouissance interdite puisque souvent les drogues empêchent l’éjaculation et les maintiennent dans un désir inassouvi. Ils tournent la queue raide comme la justice dans un ballet sexuel qui n’a jamais de fin, tournent et tournent encore sans plus pouvoir s’arrêter. Un roman poignant sur le chemsex. On fait la connaissance de Torsten à Hambourg défilant pendant une « Europride » haute en couleurs, et affichant fièrement son identité au milieu des Bears, des lesbiennes, des homo-écologiques et autres lGBT de tous poils …. Pendant cette marche festive et militante le héros rencontre le félin Tillo, étudiant en médecine. Ils se plaisent et pensent se revoir le mois suivant à Berlin. Cette rencontre impromptue est-elle le signe d’une longue aventure ? Et il semble que ce soit le cas. Une très belle histoire d’amour exaltante et libertaire se met en place. Seulement les choses commencent à se compliquer lorsqu’après avoir gouter au « Chemsex » Tillo tombe dans la dépendance. Dans ce roman on plonge à fond dans le milieu de la nuit alternative gay berlinoise ! Pour moi qui ne suis jamais allé en Allemagne c’est toute une découverte : Je n’avais jamais entendu parler du « Berghaim » ou du « Labo’s » et encore moins des dessous de ces institutions ! Pas plus que des after au « Bul » et au « No Way » ; et il ne s’agit pas vraiment de succursales de « Walt Disney ! Car Jeff Keller n’y va pas avec le dos de la cuillère : c’est très sexe et hard. Jeff Keller nous parle de bareback, de Fist et autres pratiques extrêmes. ; on n’est pas vraiment dans la romance M/M, même si en définitive il s’agit bien une histoire d’amour. Puis peu à peu, au fur et à mesure que Tillo sombre dans la dépendance au « chemsex » le ton change et devient plus sombre et de plus en plus insoutenable. Mais que procure donc le chemsex pour qu’on en devienne accro ? C’est que les drogues prolongent presque indéfiniment l’acte sexuel tout en découplant les sensations et en procurant le maximum de plaisir. Et que lorsqu’on essaye d’arrêter, on n’éprouve pratiquement plus de plaisir du tout. ! Sans compter que l’accoutumance est très rapide et que le manque devient vite ingérable. Jeff Keller s’explique parfaitement à ce sujet : « Avoir du sexe sous drogues pour prolonger l’acte avec plus de sensation, plus de plaisir, ce toujours plus qui est celui de la société de consommation. ». Il souhaite avec ce roman terrible : Vouloir faire partager cette descente aux enfers qui en réalité a lieu un peu partout dans le monde gay. » Il essaye et ce n’est pas évident, de ne pas « être dans le moralisme ni condamner la pratique » conscient que « le chemin est étroit entre ne pas juger mais essayer quand même de replacer les gens dans une logique de juste milieu. Il y réussit ce roman invite à ne rien s’interdire mais à dose raisonnable dans une logique libertaire, tout en invitant les lecteurs à éviter tout comportements addictifs mortifères : Jeff Keller ne juge pas, il avertit, il alerte ! Il s’agit pour lui d’une nécessité, d’une urgence de communiquer sur ce sujet difficile puisque les pouvoirs publics Français ne le font pas préférant rester sur la sacrosainte logique de la culpabilité méditerranéenne. Le roman garde de bout en bout un rythme soutenu à l’image de la frénésie dévorante des sons et des rythmes berlinois qui en sont la toile de fond. Une histoire d’amour romantique au départ, libertaire car inclue dans les plaisirs multiples partagés et désinhibés, puis une descente douce vers les paradis artificiels qui tourne vers une décente aux enfers. Bon roman, parfaitement écrit ; cri d’alarme qui m’a laissé sur le carreau. #henrimesquida #cinemaetlitteraturegay

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