Raphaël Watbled : l'agapanthe. 2024.
Entrevue littéraire avec Raphaël Watbled pour L’Agapanthe. Coup de cœur au prix du roman gay.
Aix-en-Provence, 2005-2006 :
Un jeune homme désœuvré promène son spleen et sa misère sentimentale entre son studio étriqué, un sex-shop et le parking souterrain où il travaille comme gardien. Un peu par hasard et par curiosité, il oriente sa quête de jouissance toujours frustrée vers le milieu gay. S’il a du mal à trouver ce dont il a besoin, il croise en revanche la route de ce qui semblerait être un tueur en série.
Écrivain et illustrateur né en 1983, Raphaël Watbled a publié Quinconce avec Silvain Lupati, ainsi que le roman 5, rue Annonerie Vieille (arHsens édiTions) et le récit Sans plus retenir (éditions Favre). Il est l'auteur de la saga érotico-policière en cours Journal d'un sans-mémoire
Il a enseigné pendant dix ans en tant que professeur des écoles puis professeur de lettres, à Marseille, Istres et dans des villages de la périphérie aixoise.
Raphaël Watbled n’est plus un nouveau venu :
Il me raconte au téléphone qu’il a toujours eu la passion de l’écriture sans avoir imaginé qu’il pourrait un jour être publié.
Il laisse tomber une carrière d’enseignant qui ne le satisfait pas et se retrouve ainsi avec pas mal de temps libre. Il se souvient alors d’un texte à quatre mains commencé bien avant et propose à son ami « Silvin Lupati » d’en reprendre la co-écriture : ils le retravaillent et c’est ainsi que naît « Quinconce », publié à compte d’auteur aux éditions Édilivre en 2016. Petit tirage pour famille et amis.
Cependant, ce premier texte est « remarqué » et apprécié par une libraire aixoise, qui organise quelques séances de dédicaces.
Fort de cette expérience « aussi gratifiante qu’enthousiasmante », « Raphaël Watbled », décide en 2016 d’achever un autre texte qu’il avait déjà en grande partie écrit en 2003 : « 5, rue Annonerie Vieille ». Cette fois ci, en tant qu’auteur unique du roman, il souhaite « passer le filtre d’un processus éditorial traditionnel et se sentir légitimé par le choix d’un éditeur ». Le roman est accepté par la maison d’édition « arHsens édiTions » (prononcé « arrache-sens »), qui le publie fin 2018.
Au moment de sa sortie, Raphaël est en train d’achever la rédaction de son nouvel opus, « Sans plus retenir », lequel serait publié en 2019 par les éditions Favre. Ce récit sur le deuil (inspiré par un deuil vécu) est lourd à porter et il décide alors de se lancer dans une thématique plus légère.
Ce sera « À la croisée des ponts », roman érotico-policier (Ex Æquo, 2021).
C’est le premier tome de ce qu’il prévoit être un cycle en 5 tomes… 4 sont encore à venir.
Et on en arrive à L’Agapanthe, Le Poisson Volant, 2023.
« Raphaël Watbled » m’explique que, apparemment sans rapport avec son roman, l’idée du livre lui vient en 2006 (il a alors 23 ans) au moment de la médiatisation d’une triste affaire judiciaire : l’affaire « Courjault ».
Le roman naît par un mécanisme « d’associations de réflexions spiralaires et d’extrapolations » inspirées par ce fait divers qui le lancent sur la piste d’une réflexion sur notre société, notre mode de vie et ce que peuvent être les angoisses contemporaines d’un individu moyen…
Le récit (hiver 2005-2006) se déroulait alors, à quelques mois près, dans le temps réel de l’écriture (été 2006), c’était une histoire ancrée dans le moment quasi présent. Toutefois, Raphaël a mis le fichier en « hibernation longue et l’a remisé jusqu’à le reprendre en 2021, presque quinze ans plus tard ». Environ le premier tiers du livre était rédigé, ainsi que de petits fragments épars des deux tiers suivants. Souhaitant le conduire à son terme, il hésite : doit-il tout réécrire pour déplacer le temps de l’intrigue, de 2005 à 2021 ?
Si, sur la forme, cette possibilité ne lui pose pas de problème, il en va autrement du fond, car cela suppose bien plus que de légers ajustements sur le fond : il s’aperçoit en effet que l’histoire, conçue en 2005, n’est pas transposable telle quelle en 2021, puisqu’une certaine mutation s’est opérée dans les modes de rencontres (les lieux de drague essentiels à son intrigue ont été le plus souvent remplacés par les applications), et que cette mutation est d’autant plus profonde pour les LGBT.
L’histoire de son héros, Maxime, a pris une légère tournure sociologique qu’il n’avait évidemment pas pu imaginer en 2005. Elle appartient à un passé récent, proche, bien connu des plus de 35 ans, mais très légèrement vintage pour la génération 2000.
Finalement, il décide de poursuivre l’écriture en maintenant tout en 2005-2006, avec les vrais lieux de l’époque, pour certains disparus, mais en faisant une narration au passé, comme si on racontait l’histoire de Maxime maintenant, ou au moment où le lecteur lit le livre.
Il se coule alors dans son écriture de 2005, tout en opérant quelques petites retouches de style pour pouvoir adapter, dans l’autre sens, la première version à l’évolution de son écriture !
Il avait cru comprendre que l’éditrice du Poisson volant aimait bien son travail ; il lui envoie le manuscrit, qu’elle accepte rapidement.
D’ailleurs, à un moment de notre discussion, « Raphaël Watbled » m’a fait remarquer qu’il n’a pratiquement pas rencontré de problèmes pour réussir à trouver à chaque fois un éditeur. Ce qui, effectivement, est une chance dont il a conscience.
S’il était principalement intéressé au départ par le côté social, il finit par donner à son livre le ton et la couleur d’un thriller (un « who done it » pour les connaisseurs), qui rehausse l’idée d’un climat d’insécurité des minorités.
Une fois cette tournure prise, « Raphaël Watbled ne fait, comme à son habitude, pas les chose à moitié, et « L’Agapanthe » en devient ainsi un page-turner, qui tient en haleine.
Au début, le héros vient de démissionner de son poste d’enseignant et, en attendant mieux, il bosse comme gardien de nuit dans un parking ; il vient également de quitter sa femme et, s’apercevant de son désir pour les hommes, il décide d’explorer sa nouvelle sexualité. Il en parle avec un détachement étonnant qui cache en réalité de l’amertume et une perte de repères, de motivation et de désirs.
C’est alors qu’il découvre, au détour de sa loge de gardien, d’un bar gay et de l’arrière-fond d'un sex-shop tenu par deux hommes d'un certain âge, que la passion charnelle dépasse les frontières d'un genre. Cette découverte le pousse à aller plus loin.
Partant du constat qu’il ne vit plus que pour vivre, il entame alors une sorte de voyage au cœur des rues et des faubourgs aixois, au gré des rencontres, à la recherche du désir perdu. Mais en réalité, on le comprend vite, ce tour des lieux de rencontres les plus prisés de la ville est aussi et surtout un voyage d’introspection et de recherche de soi.
On savoure ces péripéties ancrées profondément dans la réalité de la ville aixoise, dans des lieux qui tous ont vraiment existé à cette « époque » (et quelques années avant aussi : j’y ai fait mes études et je les fréquentais tous) et on sent bien l’amour que notre auteur a pour cette ville.
Maxime découvre et se découvre, cherche et se perd. Il s'enlise. Les amis ? Il les compte sur les doigts de la main ou plutôt, si ! Il en a un véritable et c'est son ex beau-frère. Mais de nuits débridées en nuits feutrées, Maxime charme et séduit. Et de paroles échangées en baisers partagés, de nouvelles amitiés inattendues vont éclore, le long d'une piste menant peut-être enfin au plaisir… ou dans les bras d’un tueur ?
Un tueur évoqué au début par petites touches mais qui semble se rapprocher de plus en plus du héros.
Raphaël Watbled croque tout une série de personnages tendres ou disjonctés, froids ou poétiques, de situations étonnantes (surtout pour ceux qui sont nés après l’arrivé des rencontres sur le net) et d’ambiances tendues voir sulfureuses. Mention spéciale pour la soirée dévergondée dans une demeure de la bourgeoisie aixoise…
Que se passera-t-il après cette procession envoutante de personnages qui questionne sur la nature humaine et ses envies, contée par un narrateur omniscient ? Maxime retrouver a-t-il le désir perdu ? Mais est-ce là en vérité ce qu’il cherche ?
Voilà donc un beau roman subtil et captivant, savoureux et inquiétant par moments sur une thématique contemporaine ; une plume personnelle et précise qui sait écrire de manière aussi fluide que recherchée.
Raphaël Watbled est un écrivain qui a du style et son roman n’est pas de ceux qui s’oublient après lecture.
Raphaël dit avoir tellement de projets dans sa tête qu’il n’aurait pas assez de cette vie pour les réaliser… Certains courent dans « sa caboche depuis déjà des années et de nombreux fichiers déjà commencés attendent ». Il a plusieurs idées de romans qui lui sont venues d’expériences de vie récentes. Il prépare notamment des thrillers psychologiques — souvent dans un cadre LGBT —, un roman sur une grande affaire criminelle ayant eu lieu en Provence, de petits polars, et il a de nouveau des projets de livres à quatre mains !
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